Grand choc intellectuel au palais d’El Mouradia cette semaine : D’un côté, Ahmed Ouyahia, le «situationniste» le plus branché «court terme» dans la salle des marchés du champ politique. De l’autre côté, Nabni, le think tank indépendant et sa science de la prospective économique, invité, — amalgame volontaire ? — avec des organisations patronales aux consultations sur la Constitution. Les postures mentales sont aux antipodes. Ahmed Ouyahia, investi d’un nouveau rôle de garde-malade institutionnel, réfléchit plus que jamais prise de sang du matin et courbe de température de la fin de journée. Mission du mois : émettre des signaux audibles à un public dubitatif face l’électro-encéphalogramme de la tête de l’Etat dramatiquement plat.
En face, Nabni auteur d’un rapport «Algérie 2020», qui a changé la ligne d’horizon de l’économie rentière, est, lui, plus que jamais sur une ligne stratégique des années futures. Ahmed Ouyahia est mobilisé pour gagner du temps, Nabni pour le mesurer. L’écart est culturel. Il devient antagonique lorsque Nabni propose le détachement de la rente dans un chapitre dédié aux ressources naturelles et au développement.
Le mécanisme est détaillé. Il calcule le temps. 1er janvier 2016, «les salaires de la fonction publique ne pourront plus être financés par la fiscalité pétrolière et devront être couverts exclusivement par la fiscalité ordinaire». 1er janvier 2020, la contribution de la fiscalité pétrolière au budget de l’Etat est plafonnée à 50%, avec usage exclusif pour les investissements dans l’éducation, la recherche scientifique, l’économie du savoir et les infrastructures économiques de long terme.
1er janvier 2025, «plus aucune allocation de la fiscalité pétrolière au budget de fonctionnement de l’Etat n’est autorisée» et la contribution de la fiscalité pétrolière au budget de l’Etat est plafonnée à 20% à partir du 1er janvier 2030 pour disparaître à 2035. Les échéances temporelles sur lesquelles travaille Nabni creusent une faille épistémologique dans l’arsenal cognitif de l’ancien patron du RND. Lui, dans la cuisine, veut savoir comment garder, — à l’aise — le couvercle sur la marmite, pendant que dans la chambre voisine il faut remonter l’oreiller sur le divan du vieux malade. Et Nabni vient — candidement — expliquer comment se déconnecter de la rente et arriver à 2050 avec un fonds qui aura préservé les intérêts des nouvelles générations ! 2050 ? La dernière fois qu’Ahmed Ouyahia a travaillé sur une «longue perspective» c’était en 1996. Il devait appliquer le plan d’ajustement du FMI qui durait trois ans.
Il existe une manière assassine de lire le bilan de l’autoroute Est-Ouest : Les Chinois de Citic-CRCC ont beaucoup arrosé en pots-de-vin sur les deux tronçons du centre et de l’ouest et ils ont fini plus ou moins dans les délais. Les Japonais de Cojaal ont arrosé beaucoup moins, voire pas du tout, ou pas aux bons décideurs. Et ils n’ont jamais fini le tronçon Est qui leur revient. La thèse est séduisante. Elle mérite investigation plus sérieuse.
En attendant, il manque toujours plus de 150 km d’autoroute entre Constantine et la frontière tunisienne pour livrer l’équipement du siècle. Et Cojaal, mis en demeure pour la seconde fois par l’Agence nationale des autoroutes (ANA), maître de l’ouvrage, s’apprête à jeter l’éponge. L’affaire va aller à l’arbitrage international. Un de plus. Cojaal n’a pas obtenu les réalignements des prix qu’il revendiquait à cause d’une reprise intégrale des études sur de nombreuses parties de l’ouvrage.
Notamment dans les deux sections problématiques du contournement de Constantine et de la wilaya d’El Tarf. Mais comment ont donc fait les chinois en utilisant les mêmes études très approximatives ? Certes, ils ont réalisé près de 400 kilomètres quasi plates entre Oued Fodda et la frontière marocaine.
Les Japonais ont opté pour une armature en béton sous la couche roulante. Un choix plus coûteux dicté par la peur de ne pas trouver assez de bitume en Algérie au moment du lancement des travaux en 2006. Mais le contraste entre les deux performances est trop gros pour s’arrêter là. La quasi faillite du consortium Cojaal en Algérie sur un chantier aussi stratégique pose le problème du management de projets par le maître d’ouvrage et sa tutelle. Amar Ghoul est cité par un prévenu comme ayant touché une commission auprès de la partie chinoise via l’homme d’affaires français Pierre Falcone. Le jour où il y aura enfin le procès de ce scandale de la République, le ministre pourra, peut-être, démontrer qu’il s’agit d’une fausse accusation. Il ne pourra par contre jamais effacer le désastre de sa gestion du projet. Huit ans après, les algériens iront en Tunisie par la vieille route nationale cet été 2014.
Azwaw Mehmel, le PDG de Algérie Télécom, est optimiste sur la connectivité, réservé sur le modèle économique d’Internet : Dans un entretien cette semaine à Radio M, radio sur le web, le patron de Algérie Télécom a soufflé le chaud et le froid. Trois millions de nouveaux accès Internet en résidentiel à fin 2015 sont possibles, selon lui. Les goulots d’étranglement dans les procédures de transactions sont levés depuis un an et le rythme de déploiement de la fibre optique et des équipements par «site ciblé» s’est enfin accéléré. Mais, Algérie Télécom ne pourra pas «combler le gap numérique algérien toute seule». La réponse ? Elle se trouve chez les pouvoirs publics.
Qui, selon Azwaw Mehmel, sont plus sensibles aujourd’hui au caractère stratégique des TIC.
La preuve, un prêt à taux bonifié de 115 milliards de dinars pour réaliser les investissements nécessaires. L’offre de service en illimité ne va, par contre, pas tarder à poser un problème technique et financier à Algérie Télécom qui envisage de réformer le modèle. Incriminée, une consommation de la bande passante en hausse exponentielle largement tirée par la vidéo.
En résumé, Algérie Télécom veut apporter Internet au plus grand nombre, mais à un tarif d’accès soutenable pour sa trésorerie.
Les Algériens sont tentés de répondre : «Amenez d’abord, en verra ensuite»
Chronique publiée dans El Watan