Pour faire de la présidentielle d’avril 2014 en Algérie une "présidentielle de transition" - Maghreb Emergent

Pour faire de la présidentielle d’avril 2014 en Algérie une “présidentielle de transition”

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L’auteur* réaffirme sa conviction que la résolution de la question berbère est inséparable de la démocratisation. Il appelle les « associations actives et résolues de la société civile » à l’élaboration d’un « Manifeste pour une présidentielle de transition » qui inaugurerait une transformation pacifique du régime tenant compte de la « ceinture d’insécurité sur l’ensemble de nos frontières ».

 

Le 25 janvier 1990, à l’appel du mouvement culturel amazigh, des centaines de milliers d’Algériennes et d’Algériens se sont rassemblés devant le siège de l’Assemblée populaire nationale (APN) pour exiger la reconnaissance constitutionnelle et institutionnelle de tamazight (la langue berbère). Ce jour-là, le « Rapport de synthèse » des travaux du 2° séminaire du mouvement organisé 16 au 24 juillet 1989 à Tizi Ouzou a été déposé par feu Matoub Lounès, sur la table du président de cette institution. Trois jours avant la tenue de ce rassemblement, le gouvernement réformateur de M. Mouloud Hamrouche avait répondu favorablement aux revendications du MCB et décidé de la création de l’Institut de langue et de culture amazighes à l’université de Tizi Ouzou.

Le rassemblement du 25 janvier 1990, le premier après la révolte d’octobre 1988, a remarquablement replacé la question amazighe sur la scène publique. Il a arraché le premier acquis institutionnel en faveur de tamazight, comme il a redonné confiance aux forces démocratiques tétanisées par la déferlante islamiste. Depuis, des avancées sont enregistrées grâce à la lutte ininterrompue et tenace de la population mais malgré leur importance, elles restent insuffisantes.

La reconnaissance constitutionnelle de tamazight comme langue nationale en 2002 n’a pas donné lieu à un projet national visant son développement. Plus grave encore, le législateur n’a pas abrogé toutes les lois et circulaires et tous les décrets contraires à l’article 3 bis de la Constitution. Résultat, l’enseignement de tamazight est resté facultatif, non généralisé et toutes les tentatives pour la promotion de la langue et de la culture amazighes ne sont toujours pas capitalisées.

Le combat pour tamazight reste entier et concerne aussi bien les plans culturel et linguistique que le plan des libertés et des droits de la personne humaine. Aussi, est-il indispensable de répondre aux revendications suivantes : la reconnaissance de tamazight comme langue officielle aux côtés de la langue arabe et la création d’une académie de la langue amazighe ainsi que d’un Haut conseil de la langue amazighe (dont les missions seraient, entre autres, l’élaboration d’un plan de développement de tamazight et la mise en œuvre de sa reconnaissance comme langue officielle).

La demande de reconnaissance de tamazight étant indissociable de la lutte du peuple algérien pour la démocratie**, il est impératif que l’élection présidentielle d’avril prochain soit ouverte et démocratique, qu’elle soit l’occasion pour l’entame d’un processus conduisant à la transformation radicale du régime et que le projet de transition soit le résultat d’un large consensus autour de la sécurité nationale, de la préservation de nos ressources énergétiques, du rôle de l’université et de l’école, de l’inviolabilité des droits de la personne humaine, du primat de la souveraineté populaire…

A cet effet, il est plus que souhaitable que les associations actives et résolues de la société civile s’engagent dans la voie de la transformation effective à travers l’élaboration d’un « Manifeste pour une présidentielle de transition ».

 

L’indispensable bilan de 51 ans d’indépendance

 

Ceci fait, et face à nos consciences, face à nos enfants, nous pourrons dire que nous avons osé nous impliquer, que nous avons refusé la résignation et la fatalité qu’impose la certitude paralysante selon laquelle « à la dernière minute, le pouvoir réel va tout régler, comme par magie ». (…) En agissant, nous serons dans le mouvement qui brise l’inertie. Sans porter atteinte à la stabilité de notre pays, étranglé par une ceinture d’insécurité sur l’ensemble de nos frontières, nous indiquerons la voie que nous désirons qu’il prenne.

Certes, le résultat n’est pas garanti. Le temps nous fait défaut. Et le pouvoir, cédant à sa nature, peut persister dans sa voie. Dans ce cas, il est utile de ne pas désespérer ni de s’impatienter outre mesure. Il s’agit de garder la tête froide, et dans l’esprit, l’intérêt du pays, du peuple et de la nation. Il s’agit de se dire que cette élection n’est qu’un moment dans la vie de la nation, que nous aussi, en tant que demandeurs de changement, nous n’avons pas créé le rapport de forces nécessaire, que nous manquons de prévisions…

Après l’élection présidentielle, il serait impératif de lancer des états généraux pour une évaluation complète de la situation de notre pays après 51 ans d’indépendance et de proposer ensemble, sociétés civile et politique, une feuille de route consensuelle visant la transformation radicale du régime ainsi que la mise en place d’un gouvernement d’union nationale en mesure de mettre en œuvre le programme de transition démocratique. Dans ce sens, la lettre de feu M. Abdelhamid Mehri au président de la République M. Abdelaziz Bouteflika, en février 2011, approuvée par M. Hocine Aït Ahmed, peut servir de guide à nos actions.

Concernant la situation inquiétante et douloureuse que vit la wilaya de Ghardaïa, le devoir politique et patriotique dicte de s’adresser à toutes les composantes de la population de cette wilaya sans distinction aucune afin qu’elles prennent conscience des menaces qu’elles font peser sur elles-mêmes, mais aussi, sur l’ensemble du peuple algérien. Ce même devoir interdit de se solidariser avec une communauté contre une autre et recommande de chercher à assoir une paix durable et émancipatrice.

Le pouvoir, incapable d’équité et de justice, assume seul cette dérive. Son échec dans la concrétisation du projet d’intégration nationale est sans appel. Les événements enregistrés à l’extrême sud du pays et le conflit qui avait opposé les populations amazighophones et arabophones en février 2013, sont là pour le certifier.

Devant les risques de décomposition sociale qui nous guette, il est important d’éviter l’usage inconscient d’un certain nombre de concepts comme « ethnie », « ethnicité » qui ne se rapportent à rien d’autre qu’aux génocides et autres conflits insolubles. N’est ce pas dans les mots que tout se joue ?

La question des droits culturels, linguistiques et confessionnels n’est pas propre à cette région ; c’est une question qui concerne tous les Algériens, et au-delà, tous les Maghrébins et les Méditerranéens. En vérité, derrière les motifs confessionnels, linguistiques et culturels agités à longueur de journée se cachent les véritables raisons qui sont de l’ordre du politique et de l’économique. Seul un Etat de droit, démocratique et social peut trouver les solutions les meilleures et placer le pays sur une voie de développement et de liberté.

 

(*) Brahim Tazaghart a été un des dirigeants du Mouvement culturel berbère (MCB). Il continue à militer pour la défense et la promotion de la culture amazighe, notamment dans le domaine de l’édition berbérophone. Le titre et les intertitres sont de la rédaction de Maghreb Emergent.

(**) Nous informons de la création prochaine d’un Forum culturel amazigh, espace de réflexion, de débat, de proposition et d’action en faveur de tamazight et de la démocratie.

 

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