Ce texte de l’écrivain palestinien Majd Kayyal a été publié initialement dans De l’autre côté (n° 7, 2011), éditée par l’Union juive française pour la paix (UJFP). Pour l’auteur, « l’option d’un « Etat unique, laïque et démocratique, sur l’ensemble de la Palestine historique » n’est pas nécessairement alternative à celle d’un « Etat palestinien indépendant ». Elle peut, écrit-il, « lui ouvrir des perspectives nouvelles, en soulignant la légitimité de continuer la lutte par les moyens appropriés afin de résoudre les différents aspects du conflit avec le projet sioniste ».
Il n’y a probablement pas de mouvements de libération nationale qui aient connu les polémiques et les efforts de réflexion du mouvement national palestinien portant sur la définition de son objectif final. Alors que ces mouvements aspirent à l’émancipation du colonialisme, à l’indépendance et à l’édification d’Etats nationaux, il existe au sein de celui-ci un désaccord sur le but à atteindre : est-il la libération de toute la Palestine, un Etat en Cisjordanie et à Gaza ou un Etat dont tous les habitants cohabiteraient dans un cadre démocratique et laïque (un « Etat pour ses citoyens », binational ou confédéral) ?
Ce désaccord pourrait s’expliquer par la nature du défi auquel ce mouvement s’est confronté dès le début du siècle dernier. Il s’est retrouvé, en effet, face à une colonisation de peuplement d’un genre unique, sous plusieurs rapports différente d’autres jusque-là connues :
– Il s’agissait d’une colonisation de substitution visant à déraciner les autochtones de leurs terres pour installer à leur place les colons juifs, un précédent qui ne s’est pas observé dans d’autres expériences de colonisation de peuplement (Algérie, Afrique du Sud).
– Elle prétendait œuvrer à la création d’un foyer national qui soit une « mère-patrie » pour tous les juifs de la Planète ; dans les expériences coloniales antérieures, les colons avaient une autre « mère-patrie » (la France pour les Français d’Algérie).
– Elle ne poursuivait pas comme d’autres occupations coloniales des objectifs seulement économiques mais aussi des objectifs politico-stratégiques, en plus de celui de la création d’un foyer national juif.
– Elle instrumentalisait la religion judaïque pour attirer les colons en Palestine, présentée comme la « Terre promise » ou la « Terre historique d’Israël ».
– Pour des raisons politiques, religieuses et géostratégiques, elle jouissait de l’appui de la plupart des Etats occidentaux qui ont travaillé à garantir la stabilité du foyer national juif, son développement et sa suprématie sur son voisinage.
Rétablissement de l’espace-temps palestinien
La proclamation de l’entité sioniste a eu des retombées catastrophiques sur les Palestiniens, dont le champ spatio-temporel subira l’effet de grandes manœuvres préméditées de morcellement et d’effacement. Ceci a fait supporter au mouvement national palestinien de lourds fardeaux : il devait œuvrer, avec dévouement et ténacité, au rétablissement de ce champ et à la formulation de l’identité nationale et pan-nationale (1) des Palestiniens, afin de les réinstaller sur la scène politique, locale et internationale.
Ce mouvement a évolué dans des circonstances (subjectives et objectives) singulières. Premièrement, il s’est développé hors de Palestine. Deuxièmement, il n’a pas pu compter sur ses seules ressources propres. Troisièmement, il ne disposait pas d' »héritage étatique » : dans une région qui avait connu de multiples transformations, aussi bien politiques qu’identitaires (islam, Empire ottoman, protectorat, nationalisme arabe, nationalisme palestinien), la Palestine n’était pas un « pays » au sens strict du terme, ni les Palestiniens un « peuple ». Quatrièmement, il existait un déséquilibre manifeste du rapport de forces international et régional en faveur d’Israël. Cinquièmement, enfin, à la différence de ce qu’était le cas dans d’autres expériences coloniales, ce mouvement ne s’opposait pas uniquement à une autorité d’occupation colonialiste ; il s’opposait aussi à une société coloniale.
Ce sont, là, cinq traits qui, probablement, distinguent le mouvement national palestinien de mouvements similaires et mettent en évidence la difficulté de ses missions : il ne s’agit pas seulement de lutter contre l’occupation mais aussi de formuler l’être politique de tout un peuple. On peut en déduire que l’affrontement avec le projet sioniste suivra des trajectoires reflétant la complexité du conflit et de ses retombées présentes et anciennes. Le plus probable est qu’il ne soit pas un processus de « substitution » (comme cela s’est observé dans des luttes anticoloniales antérieures) mais de « transformation ». La chronique des six décennies passées montre que ni les Israéliens ont réussi à forcer les Palestiniens à la capitulation, ni les Palestiniens à imposer la défaite aux Israéliens, ne fût-ce qu’en établissant un Etat à Gaza et en Cisjordanie. Si les Palestiniens, aujourd’hui, doivent s’atteler à la restauration de leur condition (autrement dit, la consolidation de leur présence dans l’espace et le temps, la cristallisation de leur existence en tant que peuple et la formulation de leur identité nationale et pan-nationale), cela exige d’eux d’agir sur l’ensemble et non uniquement une partie de la scène du conflit. Il est aussi peu possible de morceler l’espace-temps palestinien que de fragmenter le peuple palestinien sans rendre insensée jusqu’à l’évocation d’une « identité palestinienne ».
Tenir ce discours n’est pas faire preuve d' »étapisme » (si banalisé dans la pensée politique palestinienne pour couvrir des concessions gratuites) ou de maximalisme. Ce n’est pas non plus une expression d’inconstance, d’incohérence ou de « forfanterie » dans la conduite du combat contre Israël. C’est mettre l’accent sur le devoir, pour tout mouvement national, de clarifier ses conceptions, sa vision de lui-même et de l’avenir, et de moraliser son champ politique, culturel et éthique. Les rapports de forces, ainsi que les données mondiales, régionales et locales, indiqueront, quant à eux, le genre de solutions envisageables. Pour cette raison, il est dangereux qu’un mouvement national, censé être attaché à la justice, à la liberté et au recouvrement de droits nationaux légitimes, renonce de sa propre initiative à son récit fondateur, sans la moindre contrepartie et sans que le camp adverse ne change le moins du monde. Il ne peut y renoncer sans mettre en doute la crédibilité de ses objectifs et affaiblir la foi en la justesse de sa cause.
De la lutte-anéantissement à la lutte-transformation
Ces prémisses étaient indispensables pour souligner le fait que le champ du mouvement national palestinien est la terre palestinienne tout entière et mettre en évidence, face à ce défi qu’est le projet sioniste, le besoin d’œuvrer à formuler l’histoire de la Palestine et de son peuple. Elles étaient également indispensables pour insister sur le besoin de dépasser ce projet, c’es-à-dire l’assimiler, le transformer et l’annihiler dans la confrontation avec lui.
L’option d’un « Etat démocratique laïque en Palestine pour tous ses citoyens » tire probablement de l’ensemble de ces prémisses sa légitimité, sa dimension éthique, voire également son caractère réaliste. Une telle entité est l’antithèse même du projet sioniste, fondé sur la négation de l’autre et nourri d’une idéologie religieuse ainsi que d’une conception raciale de l’identité. Elle dédommagerait les Palestiniens des injustices et des souffrances qu’ils ont endurées par le fait du sionisme.
Cette option n’est pas celle qui a le plus de chances de viabilité et ce, en dépit du fait qu’elle est la solution idéale au conflit entre Palestiniens et Israéliens, auquel il est difficile de concevoir une issue ne tenant pas compte de la nécessaire coexistence entre Arabes et Juifs, loin de l’esprit raciste, chauvin et des prétentions religieuses, à l’ombre de la démocratie et d’une laïcité qui ne bannit pas la religion mais lui accorde un statut particulier.
Nous voulons, par ces mots, expliquer que le chemin vers un Etat démocratique et laïque en Palestine pourrait être tortueux et embrouillé. Il pourrait comporter une étape pendant laquelle les Palestiniens géreraient leurs propres affaires dans un cadre d’autonomie ; il pourrait également passer par la constitution d’une entité étatique indépendante, binationale ou confédérée avec Israël. Ceci est d’autant plus plausible que la création d’un tel Etat présuppose qu’aient déjà eu lieu en Israël – en tant qu’Etat et que société de profondes métamorphoses, à l’écart du sionisme, de ses allégations et de ses convoitises. Il est indispensable de souligner que de pareilles mutations seront naturellement influencées par les évolutions politiques, sociales, économiques et culturelles dans la région arabe (notamment le Machrek), y compris les fusions entre Etats/entités susceptibles d’en résulter.
La question de la constitution d’un Etat démocratique et laïque en Palestine (très tôt défendue au sein du mouvement national palestinien) est à dissocier de celle de la possibilité- impossibilité d’édification d’un Etat palestinien. Que ce dernier voie ou non le jour, cela ne rend pas moins impérieuse pour le mouvement national palestinien la nécessité d’une vision claire et globale (politique mais aussi culturelle et éthique) du conflit en (autour de la) Palestine, une vision qui soit en cohérence avec les défis qu’il doit relever : la restauration de la condition palestinienne et l’anéantissement des différentes manifestations du sionisme. Il est superflu de dire qu’une telle vision participera à lui conserver son caractère de mouvement de libération, sans qu’il ne renonce pour autant à son réalisme.
Entre faits et légitimité théorique
La comparaison théorique des avantages des différentes solutions – toutes légitimes au demeurant – ne donne pas les mêmes résultats que leur comparaison sur le terrain, là où se font et sont durablement imposées les réalités politiques. La solution d’un Etat palestinien indépendant à Gaza et en Cisjordanie peut paraître plus facile et plus réaliste que celle d’un Etat démocratique et laïque sur l’ensemble de la Palestine historique rejetée catégoriquement par Israël. Cependant, elle ne permet pas de résoudre les différentes questions liées à la cause palestinienne : l’unité du peuple palestinien, l’avenir des réfugiés et l’abolition du caractère raciste de l’Etat d’Israël ainsi que de son rôle (géopolitique) dans la région. Par conséquent, même si ses formes et ses rythmes peuvent changer, le conflit avec Israël ne cessera pas avec la création d’une telle entité étatique à Gaza et en Cisjordanie.
Il est tout à fait naturel qu’Israël rejette l’établissement d’un Etat unique, démocratique et laïque, pour les habitants de l’ensemble de la Palestine. L’idéologie sioniste qui le fonde rejette l’intégration des Juifs au sein des sociétés dans lesquelles ils vivent et est marquée par une mentalité de ghetto et par l’idée de la « prééminence juive ». Il va de soi que s’il combat le projet d’un tel Etat, c’est qu’il y voit la négation même du sionisme, l’anéantissement de son Récit fondateur et de sa propre prétention à exister en tant que « patrie nationale pour les juifs ».
La constitution d’un « Etat démocratique et laïque » présuppose un conflit avec Israël dans le but de démanteler le projet sioniste et de le transmuter (même si les instruments employés dans ce conflit seront différents, étant donné qu’il s’agirait plutôt que d’une lutte sanglante éradicatrice, d’une lutte légale et pacifique pour la coexistence dans un cadre démocratique et laïque). Ainsi, le champ de bataille englobe-t-il la société israélienne elle-même, à l’image exacte de ce qui s’est passé en Afrique du Sud et a débouché sur le démantèlement de l’Apartheid. Nous ne pouvons omettre de signaler à ce propos qu’Israël refuse jusqu’au projet d’Etat palestinien indépendant, en dépit de ses multiples iniquités pour les Palestiniens.
Problématiques liées aux différentes approches politiques
Pour que les efforts de réflexion théoriques puissent être pertinents, nous devons examiner les problématiques liées à chaque type de solution à la question palestinienne :
1) Le problème le plus épineux sur la scène palestinienne n’est pas seulement celui d’opter pour telle ou telle solution. Il est aussi celui des moyens de lutte disponibles pour lui donner corps et de la conduite de la lutte de la façon la plus judicieuse, la plus rapide et la moins coûteuse possible. Le fait est que le mouvement national palestinien n’a pas engrangé d’acquis proportionnels aux sacrifices des Palestiniens, ce qui s’explique par le déséquilibre des rapports de forces en faveur à l’ennemi mais également par la faiblesse des structures propres de ce mouvement et l’arriération et l’anarchie des modalités de conduite du combat national. Or, à l’évidence, tous ces éléments jouent un rôle capital pour la concrétisation de toutes les options politiques ; ils permettent d’élargir l’horizon de celles trop étriquées, de parfaire celles imparfaites et, pour le moins, de minimiser les dommages. Leur déficit expliquerait que les coûts humains, matériels et moraux de la lutte palestinienne depuis près d’un demi-siècle n’aient pas été à la mesure de ses profits, pour ne pas dire qu’ils leur ont été inversement proportionnels.
2) D’un point de vue strictement pratique, toutes les options sont légitimes, qu’il s’agisse de la libération totale ou de l’Etat unique, d’une confédération bipartite/tripartite ou d’un Etat indépendant à Gaza et en Cisjordanie. En politique, surtout dans le cas des conflits globaux, complexes et de longue durée, on ne peut se laisser emprisonner dans un choix unique. Au contraire, il faut s’ouvrir sur tous les choix pourvu qu’ils mènent au but escompté, en l’occurrence l’anéantissement du projet sioniste, colonial et raciste. Ceci signifie que toutes les alternatives, à long terme – et ne fût-ce que de façon progressive – doivent tendre vers ce but. Celui-ci ne peut être atteint en une fois (autrement, tout ce débat n’aurait pas lieu d’être), a fortiori lorsque la discussion sur les alternatives nationales se déroule sous un rapport de force déséquilibré en faveur de l’ennemi.
Au vu de ce qui précède, il est d’autant prématuré d’opposer les unes aux autres les différentes alternatives évoquées qu’il y a une quasi-unanimité palestinienne sur le fait qu’elles demeureront toutes inapplicables et utopiques sans bouleversement de la conscience des Israéliens, sans changement substantiel du rapport de forces régional en faveur des Arabes et sans transformation de la condition arabe elle-même. Le but est bien l’abolition du sionisme, de ses institutions et de ses différentes expressions, mais y parvenir exige des médiations à même d’en aplanir le chemin. En d’autres termes, il ne faut pas opposer la « solution des deux Etats » à celle d’un « Etat unique, démocratique et laïque », ni la solution d’un « Etat binational » à celle d’un « Etat pour ses citoyens ». Le facteur déterminant ici (c’est-à-dire dans les équations politiques actuelles) n’est pas notre seul désir. Ce sont aussi, d’un côté, le rapport de forces international et, de l’autre, ce qui se déroule sur le front intérieur de l’ennemi.
3) De toutes les options en discussion (Etat démocratique, confédéral ou binational ; deux Etats pour deux peuples), il n’y en a aucune qui ne soit pas inique pour les Palestiniens, surtout que toutes admettent l’existence d’Israël et, dans un certain sens, celle d’une communauté « nationale » israélienne. Pour cette raison, l’utilité de leur comparaison est toute limitée. Par conséquent, ce dont il est question est la quête non pas d’une justice absolue mais d’une justice relative. Il ne s’agit pas de mettre fin au conflit par décret, car les conflits à profondeur historique ne s’achèvent que lorsque disparaissent les causes et les circonstances qui les ont fait naître ou que les belligérants – totalement ou du moins de façon substantielle – accomplissent de profondes mutations. Le fait est qu’il n’y a pas de conflits qui soient éternels. Et si certains s’installent dans la durée, leurs enjeux, leurs formes et les instruments qui y sont utilisés changent de manière qu’ils ne restent plus nécessairement des conflits violents, visant la simple éradication de l’adversaire.
4) Toute option prise par les Palestiniens, quelle qu’elle soit, restera sous l’hypothèque des développements futurs dans la région arabe et, partant, de la forme des régimes politiques en place ou à venir. Autrement dit, son devenir sera fonction de l’issue des processus de séparation/intégration politique, sociale et économique dans cet ensemble régional, notamment le Cham (2) et la Mésopotamie. Il n’est, par exemple, pas aisé de pronostiquer la continuité de l’Etat israélien et de la société israélienne sous forme d’île isolée, de « ghetto » dans la région. Il est tout aussi peu aisé de concevoir l’établissement ne serait-ce que d’un Etat palestinien en Cisjordanie et à Gaza. Les évolutions économiques et les processus de mondialisation-intégration motivent la formation de grands blocs, et notre région, vraisemblablement, ne restera pas à l’écart de tels processus. Pour autant, cette question ne devrait pas être laissée à la force de l’anarchie et au spontanéisme qui peuvent déclencher des processus négatifs inverses. L’ouverture sur le projet d' »Etat unique, démocratique laïque en Palestine historique » suppose la maîtrise des transformations régionales en cours et leur orientation dans des directions positives.
Quelques observations en guise de conclusion
Il est essentiel de rappeler que le mouvement palestinien, à ses débuts, était plus audacieux et plus apte à s’adresser aux Israéliens. En 1969 déjà, il se fixait l’objectif d' »un Etat démocratique et laïque en Palestine », dans lequel tous cohabiteraient, abstraction faite de leurs confessions, nationalités ou croyances. Il mettait alors l’accent sur ce que le but de la Révolution palestinienne n’est pas uniquement de libérer la Palestine du sionisme mais aussi d’en émanciper les Juifs eux-mêmes. Malheureusement, ces fulgurances précoces du discours palestinien ont été éphémères, ce qui s’explique par deux raisons. La première est que ce discours étant empreint d' »esprit de slogan », de sentimentalisme, elles n’ont pas pu être mûries et acquérir un caractère fondateur. La seconde raison est la réorientation du mouvement palestinien vers l’objectif d' »établissement d’un Etat palestinien en Cisjordanie et à Gaza occupé », auquel il s’est agrippé avec une extrême rigidité, avant de l’hypothéquer lui aussi de façon non moins gratuite que grossière.
La proposition d’un Etat démocratique et laïque apparaît comme la plus juste, la plus solide et la plus soucieuse de régler les multiples aspects du conflit palestino-israélien (le droit du retour pour les réfugiés, l’unité du peuple palestinien et de son territoire). Elle est d’autant plus humaniste qu’elle inclut l’émancipation des Juifs de l’Idée sioniste, métaphysique, raciste et belliqueuse. Cependant, elle n’en apparaît pas moins, de l’aveu de la plupart de ses adeptes, comme étant la plus utopique de toutes, notamment en ces circonstances tragiques, où les deux parties sont mues dans leur lutte par des motifs nationalistes et existentiels. A l’évidence, elle ne peut qu’être écartée dans le cadre de la culture politique dominante en Israël (aussi bien au sein de l’Etat que de la société). Elle est également écartée par les Palestiniens, ce qui est dû à la culture politique dominante mais aussi aux pratiques israéliennes contre eux.
Nous voudrions mettre l’accent ici sur le fait qu’exposer de telles alternatives, à même d’élargir l’horizon du débat et de la culture politiques, n’a pas une importance immédiate mais future et stratégique. Les faire connaître est primordial pour éclairer l’opinion internationale et l’opinion israélienne sur ce que veulent les Palestiniens. De ce point de vue, il n’est pas sans danger de percevoir leur évocation comme une façon de « faire l’intelligent » ou de « jouer au futé ».
Il est nécessaire de travailler avec assiduité à enraciner dans la conscience politique des Palestiniens l’idée d’un Etat unique démocratique et laïque (un « Etat pour ses citoyens » ou un Etat « binational ») : elle est la seule qui ne sacrifie aucun de leurs droits. Il leur incombe de la porter vigoureusement en rappelant son adéquation avec les valeurs universelles. Il est absurde qu’Israël continue à tenir son discours sur son « droit d’exister en tant qu’Etat juif » (un Etat occupant et militarisé) dans un monde qui a fait le choix des valeurs de laïcité, de démocratie et de libéralisme.
Nous ne pouvons que réitérer notre conviction que l’option d’un « Etat unique, laïque et démocratique, sur l’ensemble de la Palestine historique » n’est pas nécessairement alternative à celle d’un « Etat palestinien indépendant », plus en accord avec les normes internationales et les volontés actuelles des acteurs politiques. En revanche, elle peut lui être un appui. Elle peut lui ouvrir des perspectives nouvelles, en soulignant la légitimité de continuer la lutte par les moyens appropriés afin de résoudre les différents aspects du conflit avec le projet sioniste. Il serait superflu d’affirmer que ceci recommande une prise de conscience des mutations qu’a subies la notion de « libération », synonyme pendant un demi-siècle de retour à l' »instant 1948″ et de défaite du projet sioniste par les moyens militaires. Il est insensé que cette notion demeure rigide au milieu de tant de variables. La libération signifie aujourd’hui l’émancipation des Arabes et des Juifs du sionisme, l’invention d’une solution humaniste et éthique à tous les aspects du conflit arabo-israélien, une solution qui soit assise sur des fondements démocratiques et libéraux.
Notes
1. Par « pan-nationale », nous rendons le terme arabe « qawmiya ». L’identité pan-nationale des Palestiniens, est dans le contexte, leur identité arabe.
2. Le terme arabe « Cham » désigne traditionnellement la Syrie, le Liban, la Jordanie et la Palestine.