Dans cette deuxième partie de l’entretien, le directeur du laboratoire des systèmes informatiques (LSI –USTHB), Pr. Abdelkader Belkhir, insiste sur la nécessité de se doter d’un système de génération de clés et d’algorithmes pour la protection des données biométriques des Algériens.
Qu’est-ce que le « Système Auteur Multimédia » que vous présentez ici ? Est-il ouvert ou seulement académique ?
C’est un système grand public. L’idée est de permettre à un auteur à développer des présentations multimédia. Ça peut être un cour, ou tout autre présentation. Le projet je l’avais lancé avec une de mes doctorantes. On cherchait un sujet pratique, alors je lui ai simplement demandé d’aller chez elle, et de nous présenter une recette de cuisine, avec la partie sonore, vidéo et présentation. Tous ces éléments, qui sont la combinaison de texte, de son et de vidéo, sont mélangés et permettent d’avoir une présentation multimédia complète. D’un point de vu scientifique c’était quelque chose d’assez intéressant. La preuve, par la suite, nous avons pu le publier dans une des revues spécialisées aux Etats-Unis qui s’appelle TOMCCAP « Transaction on Multimedia Computing, Communications and Applications ». Cette publication a été reprise par 22 autres publications scientifiques entre 2012 et 2014. D’autres travaux l’ont utilisée dans la présentation multimédia ou système auteur pour la TV interactive, pour les cours on-line… etc.
Que faut-il pour faire en sorte que ce genre d’applications multimédias soient généralisée à l’éducation nationale ?
On a proposé tous les ingrédients. On a développé un système auteur propriétaire, le langage utilisé est un standard du Web qui s’appelle SMIL (Synchronized Multimedia Integration Language). Pour revenir à votre question, je dirais que le problème en Algérie c’est qu’il n’existe pas de véritables relais entre le système académique et le système industriel. Donc quand on a des idées de base, parfaitement formalisées et prouvées, l’intérêt est de les reprendre pour les commercialiser à grande échelle. Et je dirais que ce n’est ni le rôle ni la vocation de l’Université d’aller vers l’industrialisation.
Je posais tout à l’heure la nécessité d’une stratégie nationale d’informatique (Lire la première partie de l’entretien, ndlr). C’est dans le cadre d’une telle stratégie pour pouvoir capter toutes les bonnes idées, qui ont été prouvées, grâce notamment à des publications dans des revues scientifiques de renommées (donc validée à l’échelle internationale), pour les mettre dans un contexte purement commercial.
La création d’un moteur de recherche est-elle envisageable par votre laboratoire ?
Dans notre département il y a des chercheurs qui s’intéressent à cette problématique. Le souci c’est toujours que ces idées là, qui sont académiques, mais qui méritent d’avoir un lien vers l’extérieur. A ce titre, il y a eu un exposé lors de ces 7e journées du LSI, qui s’intitule : « Une nouvelle approche de déploiement, d’exploitation, et d’optimisation des entrepôts de données spatiales dans un cloud ». Ce projet de recherche, essaye de résoudre le problème de gestion de la data. Ça veut dire qu’à un moment donné il y a beaucoup d’informations qui devraient être agencées et ordonnées de telle sorte de pouvoir les récupérer de manière automatique à partir d’entrepôts de données dans le cloud. C’est à dire que le système doit être capable de rechercher une information sur la base d’une requête d’un utilisateur.
Donc se posera toujours en Algérie le problème du passage de l’idée académique vers le produit industriel ou commercial.
Exactement. Pour expliquer davantage, on va illustrer par la nature du système UNIX, que les informaticiens connaissent bien. Sous UNIX on te dit, chaque processus, c’est peu de chose, mais il le fait bien. L’assemblage de tous ces processus va constituer UNIX qui est un des plus robustes des systèmes d’exploitation. Dans le cadre d’un pays, seule une stratégie nationale informatique est en mesure de rassembler des travaux de recherche éparpillés, pour obtenir un vrai système qui est exploitable à tous les niveaux.
La sécurité informatique n’est-elle pas liée à la nécessité d’avoir son propre système d’exploitation ?
Je ne pense pas. Pour le moment, il n’y a pas de problème. Ce qu’il faut c’est former suffisamment de gens spécialisés en sécurité informatique qui peuvent, à leur tour, développer des solutions propriétaires pour les systèmes d’exploitation utilisés en Algérie. Ça permettra de développer des systèmes de sécurité propres à notre contexte, au lieu d’opter des solutions clé en main. La problématique va se poser en Algérie. Nous avons commencé par le passeport biométrique, demain il est prévu d’adopter la carte d’identité biométrique. Une des problématiques qui va se poser, quand on créé l’autorité de certification, c’est de lui permettre de disposer de son propre système de génération de clés et d’algorithmes qui sont, pour le moment, importés. Ça va être un danger pour le pays. Parce que si l’informatique offre le bien-être et la simplicité des services, il ne faut pas tomber dans le travers de la consommation de ce qui est importé de l’étranger, sans augmenter notre taux d’intégration. Il faudrait que nous soyons capables d’assurer par nous même la sécurité informatique et non pas la livrer à une tierce partie.
Le problème va donc se poser. Et je suppose que le décret qui vient d’être signé pour l’Autorité de certification va interpeller beaucoup de gens pour penser à une solution propriétaire propre à l’Algérie et de ne pas importer des solutions de l’extérieur. L’identité numérique fait partie de la souveraineté nationale.
Quelle est la solution ?
Il faut former des gens capables d’assurer la sécurité de nos installations informatiques et de nos données numériques. C’est ce que nous avons commencé à faire ici au LSI de l’USHB depuis deux ans en lançant le Master de Sécurité Informatique dont la deuxième promotion est prévue en juin prochain. En attendant que l’idée soit généralisée à d’autres universités du pays pour disposer d’un potentiel important dans ce domaine. Par la suite, il faudrait investir ce potentiel humain à développer une solution propriétaire de sécurité et de gestion de données biométriques et autres data nationales. L’identité numérique doit être un outil de bonne gouvernance. La preuve quand il y a eu beaucoup de pression sur les programme de logements, comme l’AADL et autres programmes, le ministère était obligé de développer un système d’information qui permet de présenter la carte de l’habitat en Algérie. C’est un problème qui va se poser dans tous les secteurs. D’où l’intérêt de faire des pas en avant pour anticiper la demande. D’autant que les moyens traditionnels ont montré leur limite.