Le Président A. Tebboune sera-t-il le premier président à réunir le Conseil national de l’énergie (1), après le Président L. Zeroual ? Selon les déclarations du ministre de l’énergie et des mines M. Arkab, 95% des textes d’application, de la loi sur les hydrocarbures, ont été finalisés, ce qui « devrait encourager les opérateurs internationaux à investir en Algérie ».
La logique d’un tel processus, serait que l’ensemble de ces amendements soit présentés au CNE, pour une analyse et une éventuelle approbation, avant leur mise en application, ce qui rassurerait davantage les opérateurs étrangers, habitués, à juste titre, au nomadisme juridique (2), dans le domaine.
En outre, son passage par cette institution, va éviter des dérapages éventuels contenus dans ces amendements, afin de proscrire toutes affaires scabreuses comme celle de l’acquisition de la raffinerie d’Augusta, que l’ex-P-DG de Sonatrach nous présentait, il n’y a pas si longtemps, comme la meilleure affaire du siècle ! Certains me rétorqueront que le passage au CNE, n’est pas un gage de rentabilité, ni de fiabilité et encore moins de transparence de l’opération. Je ne partage pas cet avis et il y a un précédent pour le prouver, puisque lors de la présentation des amendements de l’ancienne loi sur les hydrocarbures, ministre d’état A. Zerhouni s’était farouchement opposé à ces derniers et le résultat fut probant puisque la loi, signée par ordonnance, fut abrogée de la même manière. C’est toute la différence entre une décision « individuelle », concoctée dans les « arcanes du pouvoir » et une décision collective, à travers le CNE, qui engage la responsabilité de tous les acteurs qui le compose !
Qui a donc intérêt à geler le Conseil national de l’énergie, sans autres formes d’explications ? Le même refrain revient de nouveau, puisque l’ex-Premier ministre nous avait rassurés à cette époque, dans un communiqué laconique, que « le nouveau projet de loi vise à atteindre un système juridique, institutionnel et fiscal stable et favorable à l’investissement dans le domaine des hydrocarbures à long terme, sans porter atteinte aux intérêts nationaux, d’autant que la règle des 51/49 concernant les investissements étrangers dans ce domaine a été maintenue » (3). Rien que ça, ce qui sous-entend, à contrario, que l’ancienne loi ne contenait pas ses conditions et que la nouvelle vient les y intégrer ! Combien de fois, depuis plusieurs années (4), avons-nous attiré l’attention des pouvoirs publics, sur la nécessité de recourir à la réunion du CNE, dont c’est la vocation première, afin de construire une stratégie énergétique, à moyen et long terme, qui échappe aux contingences des personnes et des événements, en vain ?
Le poids des hydrocarbures est tel, dans tous les compartiments de notre pays, qu’il ne saurait être pris en otage par quiconque, nonobstant, la qualification et l’honnêteté, de ceux qui sont à l’origine des décisions finales et de ceux en charge de les mettre en œuvre ! Seule une décision collective et collégiale responsabilisant tous les acteurs, peut créer un consensus autour des stratégies à entreprendre avec un minimum de risques et, en tout état de cause, assumé par ceux qui le prennent ! Ni le Président seul, ni le ministre de l’Energie seul, et encore moins le PDG de Sonatrach seul, ne peuvent assumer cette responsabilité, qui engage le pays tout entier et son avenir à long terme, dans la mesure où ils sont tous éphémères (mandat) alors que leurs décisions, dans le secteur, dépassent de loin leur mandature.
En outre, il est clair que le refus de réunir le CNE est une fuite de responsabilité devant les décisions prises, au cas où elles étaient contraires aux intérêts de notre pays… Ainsi, le pouvoir n’est pas coupable et s’il faut « essuyer le couteau », sur quelqu’un, il donnera les têtes des cadres à la vindicte populaire, pour assouvir sa demande légitime de justice, comme cela s’est produit lors des scandales de Sonatrach I, II, III et du dossier d’acquisition de la raffinerie d’Augusta en Italie. Il a sacrifié des présidents et des vice-présidents de l’entreprise, sans remonter au Président A. Bouteflika (5) ni à son ministre C. Khelil et encore moins à tous les intermédiaires qui ont encaissé les commissions (Bejaoui) et les ont partagées entre les différents décideurs. Dès lors, le CNE permet d’optimiser des avantages, en même temps qu’il minimise des risques encourus, dans un domaine très risqué, où les erreurs se paient cash. En outre, la collégialité et l’adhésion la plus large, permettent la transparence et la responsabilité des décisions prises, dans un débat contradictoire où tous les arguments seront sur et non sous la table.
L’implication obligatoire des partenaires étrangers (6), en amont et en aval du secteur est également une donnée décisionnelle qui nécessite une vue globale et à long terme, qui engage la sécurité intérieure et extérieure du pays et nos relations avec nos partenaires étrangers. Elle ne saurait être confiée aux seules mains d’experts nationaux ou étrangers mais nécessite une évaluation à tous les niveaux des coûts/avantages, qui va structurer le contenu des décisions prises, jusque dans le moindre détail, là où « le diable réside » toujours ! Toutes autres démarches imposées, inaugurent l’opacité, la confusion entre les intérêts collectifs et ceux individuels et finissent toujours par des scandales financiers que tous les contribuables seront les seuls à supporter, sur la base d’une règle non écrite qui consiste à mutualiser les pertes sur tous et concentrer les gains autour d’un noyau de saprophytes, confortablement installé à l’étranger.
A quoi est donc due cette volonté de zapper le CNE ? Eviter un débat essentiel en son sein ? Cette manière d’agir va contribuer à élargir la suspicion sur les biens fondés des amendements de cette loi et consolider le front du rejet. La sagesse voudrait que ces amendements passent au crible du CNE.
Mourad Goumir, Professeur Associé
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(3) C’est la première fois, dans les annales de notre pays, que des manifestations de rue (Hirak), rejettaient un projet de loi, (« kanoun el mahroukat tsigna fi el-casernat »), en lieu et place de la représentation nationale (les deux chambres), avant même que ce texte ne lui parviennent, si jamais il passe par le biais du pouvoir législatif, le pouvoir nous ayant habitué à recourir, illégalement, au mode d’adoption par ordonnance présidentielle, pour ce genre de texte, dans le passé récent !
(1) Créé par décret présidentiel le 19 avril 1995, par le président L. Zeroual, le Conseil national de l’énergie est la plus haute instance décisionnelle dans le secteur de l’énergie. Présidé par le Présidé par le Président e la république, il est composé du chef du gouvernement, des ministres de souveraineté (Défense nationale, Affaires étrangères, Energie et Finances), du gouverneur de la Banque d’Algérie et du délégué à la planification (article 1). Ce Conseil est chargé d’assurer le suivi et l’évaluation de la politique énergétique nationale à long terme, notamment de la mise en œuvre d’un plan à long terme destiné à garantir l’avenir énergétique du pays; d’un modèle de consommation énergétique en fonction des ressources énergétiques nationales, des engagements extérieurs et des objectifs stratégiques à long terme du pays ; de la préservation des réserves stratégiques du pays en matière d’énergie; des stratégies à long terme de renouvellement et de développement des réserves nationales en hydrocarbures et leur valorisation ; de l’introduction et du développement des énergies (article 2)… Il ne s’est plus réuni depuis 1998. La question reste aujourd’hui sans réponse. Reste que le ministre de l’Energie, de par son poste de secrétaire, aurait été au courant de la situation que traverse son secteur si cette instance se réunissait régulièrement. Et les scandales qui éclaboussent la Sonatrach, auraient pu être évités.
(2) Le changement de la loi entre 2005 et 2006 a été très négatif pour le partenariat en Algérie . L’expert M. Preure pointe lui aussi du doigt l’instabilité juridique à El Watan. « Vingt ans durant, la réglementation n’a pas changé. Puis, en l’espace d’une année (2005 et 2006), la réglementation a changé deux fois, puis à nouveau en 2013. Cela a fait fuir les compagnies pétrolières au moment où l’investissement dans l’exploration-production dans le monde atteignait son pic historique, de 721 milliards de dollars, ajoutant que « J’ai toujours appelé au retour à la loi 86-14 et au contrat de partage-production.
(4) Depuis au moins neuf ans, par plusieurs articles parus dans la presse (El-Watan du 04 mars 2010 et au Soir d’Algérie du2011/11/28), j’avais attiré l’attention des pouvoirs publics, sur le fait que le CNE était une institution idoine pour décider sur les grands axes de notre politique énergétique.
(5) M. Benchicou dénoncé, en décembre 2014, déjà, que l’ancien ministre de l’Energie, dans des correspondances datant de 2008 et 2009, précisait à l’intention de ses interlocuteurs qataris : « Notre ami commun (Abdelaziz Bouteflika) est le seul médiateur et se portera garant.»… promettant le soutien politique de Bouteflika lui-même pour la cession de Naftal. « Nous serons bientôt en mission à Genève (Suisse) et pourrons vous rencontrer si vous êtes disponibles » !
(6) Le ministre de l’énergie et des mines a déclaré, lundi 26 Avril 2021, « qu’une sensibilisation internationale a d’ailleurs été lancée… notamment à travers les entreprises et les représentations diplomatiques accréditées dans le pays…pour créer une interaction rapide »…et notamment avec l’ENI (Italie) et Total (France).