Ancien directeur de la dette à la Banque d’Algérie, Rachid Sekak est un de nos experts financiers les plus réputés. Dans une interview que nous publions en deux parties, il livre une analyse sans concession sur la situation actuelle des finances publiques nationales ainsi que sur les perspectives de recours à l’emprunt interne et à l’endettement extérieur.
Après des années d’excédents financiers, la problématique de la dette est en train de faire assez brutalement son retour dans le débat national, quelles sont les raisons essentielles qui expliquent cette nouvelle situation ?
Le débat sur la dette et notamment sur la dette extérieure revient en force essentiellement à cause de la situation de nos finances publiques internes. Le niveau de nos réserves de change est encore supérieur à 140 milliards de dollars et ne nécessite pas actuellement un recours à l’endettement extérieur. Il faut bien se rendre compte que nous sommes arrivés à la situation « ubuesque » dans laquelle on envisage un recours à l’endettement extérieur dans le but de créer… de la liquidité interne en dinars. Beaucoup ne comprennent toujours pas les interdépendances entre les grandes variables macro-économiques. Le niveau des réserves de change si souvent mis en avant ne nous protège pas de tout.
La situation des finances publiques apparait aujourd’hui plus tendue que celle de la balance des paiements. Quel est l’état des réserves du FRR ? Comment s’explique son épuisement accéléré ?
J’avais personnellement annoncé fin 2014 l’assèchement des ressources du FRR dans les deux ans qui allaient suivre. Nous y sommes. L’épuisement accéléré de ces ressources s’explique par la croissance du déficit budgétaire qui a été évalué la semaine dernière par le FMI à 16 % du PIB en 2015. C’est la démonstration chiffrée que l’ajustement n’a pas encore été réalisé. Le seul ajustement qui a eu lieu en 2015 est celui réalisé par la Banque Centrale et qui a touché le taux de change. Pour le reste, il y a eu pour l’instant beaucoup d’effets d’annonce mais peu d’actions dans la bonne direction.
Le Premier ministre vient d’annoncer le lancement d’un emprunt national en avril prochain. Quel pourrait être l’impact de cet emprunt sur les finances publiques ?
Compte tenu de l’épuisement annoncé des ressources du FRR, il ne reste que deux solutions disponibles pour financer le déficit du budget de l’Etat. Il s’agit du recours à l’emprunt local et à l’accroissement de la dette publique interne d’une part et du recours à l’endettement extérieur souverain pour créer de la liquidité d’autre part. L’option de l’accroissement de la dette publique interne est aujourd’hui compliquée par la situation de plus en plus tendue de la liquidité des banques du pays et pose donc la question de la capacité d’absorption de l’accroissement attendue de la dette publique par le marché. Il faut bien comprendre que, si les déficits publics se maintiennent au même niveau au cours des prochaines années, il faudra trouver chaque année l’équivalent de 20 à 25 milliards de dollars en monnaie locale pour assurer leur financement ; ce qui fera passer le montant de la dette publique à plus de 50 % du PIB d’ici 2020 et posera de sérieux problèmes de pilotage macro-économique. La liquidité bancaire est en forte baisse sous le triple effet du contenu import des dépenses de l’Etat, et des besoins de financement de Sonelgaz et de Sonatrach notamment.
Quelles sont selon vous les chances de succès de cet emprunt ?
Tout dépend de la cible visée. S’il s’agit des investisseurs institutionnels, les compagnies d’assurance publiques et privées seront probablement preneuses d’un emprunt obligataire bien rémunéré car elles n’ont pas beaucoup d’alternatives actuellement pour le placement de leurs réserves. De toutes manières ce segment n’est pas très profond. Les banques privées de leur côté n’auront qu’un intérêt minime à participer à un tel emprunt compte tenu de la rémunération qui a été annoncée qui entraîne pour elles dans les conditions actuelles du marché ( forte hausse du coût des ressources ) un rendement proche de zéro tout en ajoutant un risque de taux d’intérêt difficilement acceptable. Les banques publiques en revanche pourront toujours subir les « pressions sympathiques » de leur propriétaire et actionnaire unique.
Si la cible de cet emprunt est au contraire le vivier important représenté par l’épargne accumulé dans le secteur informel, les choses se présentent d’une façon différente. La circulation fiduciaire hors banque est estimée actuellement à environ 20 % du PIB et 25 % de la masse monétaire. La question qui se pose est de savoir s’il sera possible de mobiliser une partie significative de cet argent au travers d’un emprunt s’il n’est pas accompagné d’une amnistie fiscale totale. C’est apparemment dans cette dernière direction qu’on semble s’orienter si on en juge par les dernières déclarations du ministre des Finances. Soyons clairs, on ne peut certainement plus faire dans la demie-mesure en matière d’amnistie fiscale.
Quelles peuvent être les conséquences de la présence renforcée de l’Etat ainsi que des entreprises publiques en tant qu’emprunteur sur les marchés de capitaux ?
Si l’Etat et, après lui, au cours des prochains mois et des prochaines années, les grandes entreprises publiques s’adressent de façon croissante au marché financier, nous serons en face de deux risques majeurs. Le premier est celui de l’éviction de l’investissement privé par le financement de la dette publique. Le second risque consiste dans un recours massif des banques notamment publiques au refinancement auprès de la Banque d’Algérie. Ce qui constituerait indirectement un financement monétaire du Trésor public et donc un retour en arrière de près de 30 ans, avec les risques inflationnistes qui lui sont associés.
Pour vous, la solution aux problèmes financiers de l’Etat n’est donc pas dans le gonflement de la dette interne ?
L’accroissement de la dette interne et externe est inévitable mais ne doit surtout pas constituer un remède privilégié pour les autorités financières algériennes. Car la dette n’est pas la cause du problème mais en est le résultat. La plus grande partie de la solution passe par une rationalisation de nos finances publiques qui ne sont pas aujourd’hui viables. Des déficits du budget de l’Etat supérieur à 15 % du PIB sont insoutenables dans la durée et conduisent inéluctablement à un financement par « le reste du monde » c’est a dire à l’endettement extérieur. Le doublement des dépenses courantes de l’Etat entre 2008 et 2014 est clairement le signe d’un énorme gaspillage. Le statu quo observé en matière de déséquilibre de nos finances publiques en 2015 est préoccupant. On doit en outre s’interroger sérieusement sur l’efficacité de nos investissements publics. Combien de croissance génère un dinar d’investissement public ? Probablement pas beaucoup plus d’un dinar ? y-a-t-il un multiplicateur ou détruisons nous de la valeur au travers d’investissements publics mal maturés et mal exécutés ?