Pour Ridha Tlili, politologue, professeur de l’histoire de la pensée politique et consultant tunisien à l’UNESCO, si les réformes dans le pays ne se font pas dans l’immédiat, c’est le populisme, très présent en Tunisie, qui l’emporte.
Certaines voix politiques contestent déjà la nomination de Habib Essid comme premier ministre de la nouvelle république tunisienne. Pourquoi toute cette polémique autour de la nomination d’un homme politique indépendant?
Les Tunisiens s’attendaient à un premier ministre jeune, représentant de cette nouvelle Tunisie, ou du moins, issu des partis qui composent cette nouvelle Tunisie. La nouvelle constitution prévoit que le gouvernement soit issu du parti majoritaire au parlement, mais étant donné que le parti Nidae Tounes de l’actuel président, n’a pas la majorité, c’était au chef du parlement de le nommer. Or là, nous assistons à la nomination d’un chef du gouvernement directement par le président de la république, et d’un premier ministre « Indépendant ». En politique, on est indépendant de quoi et par rapport à qui ? Je nomme ça de l’hypocrisie formelle de la démocratie. Car M. Habib Essid, ne tient sa légitimité ni de Nidae Tounes ni du gouvernement. Il est contesté, car tout le monde dit que c’est le candidat d’Ennahdha. Je considère que Habib Essid est le candidat du compromis historique, car il a servi dans les deux camps opposés. C’est un homme de consensus. En fin, sa nomination n’a pas été très bien accueillie chez les jeunes car il a servi dans l’ancien régime ; il a 65 ans, on aurait plutôt aimé voir un jeune. Mais, je dirais là, qu’on ne va pas le juger avant de le voir à l’œuvre.
On parle aujourd’hui de la présentation de cinq personnalités du parti Enahdha dans le prochain gouvernement. Certains députés de Nidae Tounes ont menacé ce matin de retirer leur confiance à Habib Essid dans le cas échéant. Quel est votre commentaire ?
Je ne pense pas que ce soit grave de voir des personnalités d’Ennahda prendre 5, 6 ou 10 postes ministériels. Tel n’est pas le problème. Nous avons besoin aujourd’hui de voir des réformes et des changements s’opérer. Si on ne va pas vite, on risque de revoir le peuple dans la rue. Je dis qu’il faut être des réformateurs révolutionnaires, c’est-à-dire, ne pas se contenter d’introduire des réformes qui pourront durer des décennies. Nous avons besoin de faire une révolution en matière de réforme car la situation urge. Si cela ne se fera pas dans l’immédiat, le populisme très présent et prégnant en Tunisie risquerait de mettre ce gouvernement à la porte. Il ya des promesses mirobolantes de la part des acteurs populistes tunisiens de tout acabits.
Ce matin, des centaines de jeunes ont manifesté dans le sud du pays pour réclamer le travail et l’amélioration de leurs conditions de vie. Des échauffourées ne cessent de se déclarer dans les villes du sud depuis la tenue des élections présidentielles. Ce prochain gouvernement a-t-il une réponse urgente à donner ces populations ?
Je souhaiterais clarifier tout d’abord que ces manifestations, survenues pour la plupart dans les régions du sud du pays, n’ont rien à voir avec les résultats des élections présidentielles. Cela fait plus de huit mois que ces habitants du sud protestent, pas pour soutenir ou contrer l’un ou l’autre, mais plutôt, parce que ces personnes vivaient jadis du commerce et du trafic aux frontières. Aujourd’hui, avec la fermeture de celles-ci, pour des raisons sécuritaires, ces habitants, estimés à plus de 500.000 personnes, ne trouvent plus de quoi vivre. Ils protestent alors contre les forces de l’ordre, qu’ils tiennent pour responsables de la fermeture de ces frontières. Je voudrais vous rappeler ici que ces régions n’ont été inquiétés ni par Kadhafi, ni par Ben Ali, qui fermaient les yeux sur les activités de trafics et de contrebandes. Les personnes se sont enrichies pendant l’embargo (sur la Libye), et continuent à ramasser des richesses depuis le début du conflit Libyen. Mais aujourd’hui, ils savent très bien que la stabilisation de cette région dépasse les gouvernements libyens et tunisiens, même les occidentaux. Ils sont inquiets car ils savent que le retour à leurs activités n’est pas pour le court terme.
Pour revenir à votre question sur la réponse que pourrait apporter le prochain gouvernement, je dirais que les tunisiens sont horrifiés par la question sécuritaire et du doute de la capacité de ce nouveau gouvernement à gagner la guerre contre le terrorisme. Cela représente une urgence chez le nouveau président, pour lui-même, pour la communauté internationale et pour sa population. Le gouvernement doit montrer qu’il est cohérent et compétent pour faire face aux questions sécuritaires et économiques pressantes du moment.