Samia Hamouda, économiste à la CEA-Afrique du Nord : "On est très fragile et très dépendant du contexte économique international" (Interview) - Maghreb Emergent

Samia Hamouda, économiste à la CEA-Afrique du Nord : “On est très fragile et très dépendant du contexte économique international” (Interview)

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La sécurité alimentaire et les stratégies, vision et politiques agricoles des pays nord africain ont été au centre des discussions d’un pannel d’experts et hauts fonctionnaires des pays de l’Afrique du Nord et de l’Ouest, du 1er au 3 novembre derniers à Accra (Ghana) et dont Maghreb Emergent avait couvert ses travaux.

La chargée des affaires économiques au Bureau Afrique du Nord de la Commission économique des nations unie pour l’Afrique (CEA), Samia Mansour Hamouda, a répondu aux questions de Maghreb Emergent sur la situation et défis qui attendent les pays nord africains (Mauritanie, Maroc, Algérie, Tunsie, Libye, Egypte et Sudan) en termes de sécurité alimentaire et politiques agricoles.

Maghreb Emergent : Comment évaluez-vous le secteur agricole et les impacts géopolitiques dans le monde et le climat ?

Samia Mansour Hamouda : Si on regarde la situation actuelle, ce qu’on est en train de vivre de problème d’approvisionnement et de sécurité alimentaire est le résultat d’un choc externe – une guerre qui ne se déroule pas près de chez-nous -. Cette facilité d’être influencé par des éléments extérieurs, démontre également que nos systèmes agricoles n’ont pas subi les réformes structurelle dont ils ont besoin. Donc, on constate qu’on est très fragiles et on est très dépendant du contexte économique international.

Nos système agricoles et alimentaire dépendent de l’international. D’abord, des importations des engrais, mais aussi des importations de prduits aimentaires finis, comme les blés (dur et tendre). Donc nos dépenses et nos marchés locaux sont liées aux prix qui se négocient et se fixent ailleurs. Dans ce cercle, l’impact est presque direct et général, des agriculteurs aux  entreprises, jusqu’au consommateur final.

Donc, la situation actuelle s’est avérée très fragile. Affaiblie d’abord par la pandémie du Covid-19, ensuite la guerre en Ukraine est arrivée. Cette dernière a impacté les prix des intrants agricoles, comme les engrais et jusqu’au produits agricoles finis. Et enfin les effets du changement climatique qui deviennent alarmants.

Prenant l’exemple de la région du Maghreb, c’est la région qui subit le plus le stress hydrique et la sécheresse. Par conséquent, c’est forcément notre système alimentaire qui devient menacé. S’ajoute à cela, les politiques agricoles des pays qui n’ont pas été revues ou réformées.

Est-ce que, dans les prochaines années, nos pays vont importer tout ce que nous allons consommer ?

Effectivement. Si les politiques et les stratégies agricoles ne seront pas revues, nous allons devoir continuer à importer, en dehors des céréales que nous importons déjà presque l’intégralité de ce qu’on consomme.

Il y a des pays, comme l’Algérie, ou la Libye, qui ont des moyens pour s’approvisionner à l’international, grçace aux revenus des exportations des hydrocarbures. Les données montrent que l’Égypte  que 90% des exportations du blé proviennent de la Russie et de l’Ukraine,  , plus de 60% pour la Tunisie , de 50% pour le Maroc et la Mauritanie et aux alentours de 40% pour la Libye et l’Algérie.

Ceci montre que la région Afrique du Nord est, dans une  situation où la dépendance des marchés internationaux est très forte. Allant du blé, des céréales, à l’énergie et les engrais et d’autres intrants jusqu’au produit final. Toute la chaine de production de l’agro-industrie est impactée.

Est-ce que les réponses politiques quant à cette situation sont suffisantes actuellement  ?

Honnêtement, les gouvernements ont commencé à réaliser la gravité de la situation, surtout les effets du  changement climatique. Cela devient dynamique, lls sont en train d’intégrer le changement climatique dans les politiques publiques.

D’ailleurs, aujourd’hui, le stresse-hydrique on en parle tout le temps. A mon avis, il faut intensifier le travail et mettre en place des réformes et stratégies sur le long terme. Il faudra également éduquer les nouvelles générations et les sensibiliser quant à la protection de l’environnement, aux effets du changement climatique et  à l’importance de l’eau.

Par exemple, l’Égypte, la Libye, le Maroc et la Tunisie ont pris des mesures visant à accroître l’utilisation efficace des ressources en eau ; ils ont notamment investi dans des installations de dessalement, des barrages, la récupération de l’eau et dans des techniques avancées d’irrigation intelligente et d’irrigation au goutte-à-goutte. Le Soudan a remis en état les terres pastorales, la Tunisie a mis en place des systèmes d’alerte précoce efficaces pour surveiller la sécheresse, et l’Égypte et le Maroc, quant à eux, ont adopté des pratiques et des techniques résilientes face aux changements climatiques et ont dématérialisé leurs services agricoles.

Donc, les politiques ont non seulement la responsabilité de prendre en considération ces facteurs, mais aussi de prendre des décisions. Cela étant, il faut tenir compte que ce qui se passe actuellement, ce sont des chocs climatiques dont nous ne sommes pas les premiers responsables.

A-t-il eu des propositions pour réorienter les régimes alimentaires des population pour consommer des produits qui nécessitent moins d’eau dans leur production ?

Tout à fait, changer et diversifier les régimes alimentaires des populations en s’orientant vers des régimes qui se basent plus sur des légumes et des fruits qui consomment moins d’eau pourrait être une option. Aussi, réduire la part du blé, du pain de nos régimes alimentaires surtout si on sait les pays d’Afrique du Nord sont particulièrement touchés par l’obésité infantile et le surpoids. Le taux a doublé durant les 20 dernières années.    

En Afrique du Nord, deux pays (l’Algérie et l’Égypte) sont des plus grands importateurs et consommateurs de céréales dans le monde. Est-ce que économiquement, ils peuvent réorienter leur consommation pour dépendre moins des importations ?

En fait, l’Égypte a commencé de revoir, par exemple, la base des composants du pain, ils ont fait entrer le maïs pour alléger le poids sur le blé. Ils ont également commencé à semer une nouvelle semence de blé adaptée au sol et au climat égyptien. Donc, une réorientation est  faisable.

Je pense aussi que ce qui est doit être fait, c’est adapter ce que nous cultivons et ne pas choisir des semences qui demandent beaucoup d’eau. A ceci s’ajoute le changement des régimes alimentaires et une meilleure diversification basée plutôt sur des produits (fruits, légumes…) qui consomment moins d’eau et qui pourraient être plantés de notre région.

Des innovations dans le domaine de l’agriculture sont proposées et des bonnes pratiques ancestrales existent déjà. Est-ce que c’est le moment de tout réformer ?

Actuellement, les modèles agricoles des pays du Maghreb reposent sur le développement d’une agriculture extensive sans tenir compte des contraintes écologiques et climatiques. Cette situation a entraîné une baisse de la productivité agricole, avec des rendements faibles et limités. Le secteur agricole reste tributaire des cultures céréalières à faible rendement, avec des investissements limités dans la recherche et l’innovation. Par exemple, la production de céréales (orge, blé et riz), plus gourmande en eau que les fruits et légumes, a en fait augmenté dans la sous-région dans les années 2010, atteignant 60 % des terres cultivées, malgré les pénuries d’eau et de terres arables

Or, dans l’histoire de la région du Maghreb, il y avait des bonnes pratiques agricoles dans chaque pays. Il y avait aussi des bons projets qui ont réussi. Par exemple, dans le passé, certains pays de la région ont mis en œuvre des programmes nationaux de réserves de céréales afin de mettre fin à l’instabilité des prix mondiaux. Encore et en réponse à la crise alimentaire mondiale de 2007-2008, l’Algérie, l’Égypte et le Maroc ont lancé des initiatives prometteuses qui pourraient permettre d’échanger et de reproduire de bonnes pratiques. L’Égypte a adopté une stratégie de développement agricole durable qui vise à assurer la sécurité alimentaire d’ici à 2030, en modernisant l’agriculture égyptienne et en améliorant les moyens de subsistance des populations rurales et le Maroc a lancé son Plan « Maroc Vert » en 2008.

Dans mon rapport, j’ai mentionné la nécessité de revoir les stratégies des pays de la sous-région, qui datent depuis les années 1960 et 1970, mais malheureusement, la région est restée dans des politiques statiques et qui ne se sont plus adaptée aux changements. Le rapport rappelle l’importance des pratiques innovantes pour faire face à la raréfaction de l’eau et à la dégradation des sols, et pour améliorer les gains de productivité de l’agriculture en poursuivant les efforts déployés pour réutiliser les eaux usées traitées pour l’irrigation afin de combler les écarts entre l’offre et la demande de ressources en eau conventionnelles

En fait, oui. Il y a des startups, des centres de recherches, des think-tank et des projets innovants qui peuvent être très utiles pour le secteur agricole. Un secteur qui a besoin de fonctionner d’une manière adaptée aux monde la recherche et de l’innovation.

En revanche, ce que nous plaidons aujourd’hui, c’est d’encourager et investir dans la recherche agricole dans toute la région et éviter de rester dans un mode de fonctionnement révolu.

Est-ce qu’il y a une sorte d’entêtement sur les réformes conjoncturelles au lieu de faire des réformes structurelles ?

Les difficultés d’adaptation que trouvent certains pays est le résultat d’un cumule d’action et de politiques qui n’ont pas été révisées ou ajustées. C’est ce que nous révèlent les différentes analyses des données et des situations.

Aujourd’hui, les gouvernements découvrent qu’ils sont encore en train de fonctionner avec des méthodes du siècle dernier et que le contexte change, le climat change et la démographie change.

Il est important de souligner aussi que les Etats insistent trop sur les politiques d’appui et de subvention du secteur et les agriculteurs se sont habitué à ça. Dans les pays développés, c’est le secteur privé qui produit l’essentiel des productions agricoles. L’investissement du secteur privé et les partenariats public-privé dans le secteur agroalimentaire pourrait être une solution pour nos pays.

Que recommandiez-vous urgemment ?

D’abord, il est urgent de revoir nos politiques agricoles avec des réformes structurelles. Ces réformes ne doivent pas être faites en silo. La stratégie agricole doit être liée à tous les autres secteurs, dont l’énergie, l’environnement, l’éducation et la santé.

Ensuite, il faut repenser et redynamiser la collaboration entre les pays de la région. Il y a un très grand potentiel si la coopération et les échanges entre les pays de la région augmentent. On peut se compléter entre nous. Ce qui manque en Tunisie, il est disponible en Algérie, le manque en Mauritanie est au Maroc et aussi favoriser les échanges entre l’Égypte et le Soudan ou avec l’Algérie ou la Libye. Il y a de réelles potentialités entre nos pays.

Enfin, il faut impérativement mettre en place des mécanismes pour faire face au stresse-hydrique. C’est une urgence absolue.

Interview réalisée par Aboubaker Khaled

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