La nomination du nouveau Premier ministre par le chef de l’Etat a été marquée par un recentrage de sa mission vers l’économique et le social, selon les termes utilisés par Abdelmadjid Tebboune. Aimen Benabderrahmane, nouveau PM, a-t-il suffisamment de marge de manœuvre pour redresser la machine économique ?
C’est une des problématiques que le pouvoir veut résoudre. Il y a de plus en plus de signaux qui montrent une « inquiétude » au sommet de l’Etat concernant la situation économique mais sans pour autant faire des gestes politiques de grandes ampleurs capables d’amorcer une dynamique de réforme globale. Et pourtant, de l’avis de la majorité des analystes, il ne peut y avoir de réformes économiques sans revoir le modèle de gouvernance, donc le politique. D’autres spécialistes, parlent aussi d’économie politique et la nécessité de l’adhésion populaire à des réformes économiques qui ne peuvent être que douloureuses pendant la première étape de leur mise en place. Néanmoins, cette adhésion populaire ne peut être configurée sans s’attaquer aux défaillances politiques et le déficit démocratique dont souffre les institutions. Ces thématiques ne figurent pas dans les priorités fixées par Abdelmadjid Tebboune à son nouveau Premier ministre.
Les prix du pétrole
L’économie algérienne dépend majoritairement des recettes des hydrocarbures. Les prix de l’or noir ne sont plus maitrisables par les producteurs. Ces derniers ne sont pas aussi sur la même longueur d’onde tout le temps. Une nouvelle géopolitique du pétrole qui a changé radicalement depuis plusieurs années est en marche. Le choc pétrolier de 2014 a dévoilé au grand jour l’extrême vulnérabilité de l’économie algérienne, encore otage de l’exploitation d’une ressource non renouvelable. La pandémie du Coronavirus est venue pour sonner comme une alerte de plus quant au danger de continuer à maintenir la trajectoire rentière. La chute des prix pendant la pandémie et le recul des investissements dans le domaine pétrolier, orientés de plus en plus vers le renouvelable, compliquent d’avantage la situation de l’Algérie. Sonatrach et ses partenaires n’ont pas fait de nouvelles découvertes importantes pour sécuriser l’approvisionnement en énergie. A cela s’ajoute l’augmentation continue de la consommation domestique du gaz. Ce dernier est le principal hydrocarbure produit par l’Algérie. Ce triptyque crisogène, à savoir la baisse de la production, la hausse de la consommation domestique et la fluctuation des prix sur le marché international, ne donne pas beaucoup de temps au nouveau gouvernement pour faire la mutation de l’économie nationale.
A la fin 2020, le PDG de Sonatrach, Toufik Hakkar, avait indiqué que 62% des réserves prouvées en hydrocarbure sont déjà épuisées. Sur le plan des nouvelles découvertes, ils ne répondent pas à la perspective de renouvellement des réserves. Même si les prix du pétrole sont actuellement à plus de 70 dollars le baril, la Sonatrach ne pourra pas renflouer sa trésorerie, certainement pas encore déficitaire, vu la baisse importante de 40% des recettes en 2020. Les investissements de la première entreprise africaine dépendent aussi de sa santé financière et des gains qu’elle réalise. Une équation complexe à résoudre surtout que la compagnie nationale représente la plus grande partie des recettes de l’Etat.
L’ancien cadre dirigeant de Sonatrach, Ali Hached, qui était l’invité du Direct sur Radio M le 7 juin dernier, a mis en garde les autorités publiques contre la menace d’une baisse de production d’hydrocarbure. Une situation que, si ne sera pas résolue d’ici 2030, « l’Algérie n’aura pas assez de gaz pour produire son électricité », a-t-il alerté. Pour pouvoir effectuer une transition énergétique il faut des investissements colossaux. Aimen Benabderahmane sera-t-il chargé de trouver les financements nécessaires pour être plus agressif en matière d’investissement dans le renouvelable ? Difficile de pronostiquer à ce stade alors que d’autres urgences financières liées aux dépenses de l’Etat sont au menu. Même les prévisions des experts concernant l’augmentation des prix du pétrole avec la hausse de la demande mondiale ne résoudra pas cette problématique épineuse et ne fera que reporter l’échéance de l’épuisement des « réserves de change ».
Même si certains experts continuent à relativiser la crise financière du fait de l’inexistence des dettes extérieures et les réserves de changes pas totalement épuisées pour le moment, la relance économique et faire face à la crise nécessitent des investissements importants. Il faut trouver de l’argent pour réaliser ces investissements en plus du maintien des dépenses de l’Etat sans grand chamboulement dans le niveau de vie des citoyens. Une autre équation à laquelle le nouveau gouvernement doit faire face. Aimen Benabderrahmane, nouveau Premier ministre, aura à faire des arbitrages douloureux en la matière s’il veut revenir à l’équilibre budgétaire. Des arbitrages risqués socialement alors que le déficit de « légitimité de l’exécutif » est mal partie avec plus des trois quart des électeurs qui n’ont pas voté le 12 juin, selon les chiffres officiels.
La planche à billet
En sa qualité de ministre des finances, avant sa nomination PM, M. Benabderrahmane a déjà engagé des mesures de refinancement de l’économie nationale. Le jour de sa nomination à la tête de l’exécutif, la banque d’Algérie a dévoilé un plan de refinancement de plus de 2100 milliards de dinars jusqu’à la fin de l’année. Il s’agit à nouveau de faire tourner la planche à billet. Depuis 2017, l’Etat a imprimé 6900 milliards de dinars pour financer le déficit budgétaire sans résultats papables sur le terrain. Avec cette nouvelle création monétaire, l’Etat maintient le cap de l’endettement intérieur. Les 14,77 milliards de dollars à imprimer d’ici la fin de l’année sont destinés à soutenir la relance économique mais aussi à financer le déficit budgétaire. Il s’agit d’une opération provisoire pour amortir les chocs financiers à court terme et le manque de liquidité. Dans le même sillage, le dinars continue sa dépréciation mettant en difficulté la monnaie nationale et augmente le degré d’incertitude des opérateurs économiques. Malgré la tentative de maitriser l’inflation en orientant une partie de monnaie crée vers les investissements économiques, il n’est pas sûr que les résultats seront au rendez-vous. Le pouvoir d’achat des ménages est mis à rude épreuve et provoque un recul sans précédent de la consommation.
Les experts et les économistes s’accordent à dire qu’il s’agit de mesures sans grand impact sur la situation économique du pays. Ils alertent sur le danger de cette approche à court terme qui ne résoudra en aucun cas les problèmes structurels de l’économie et les finances de l’Algérie. Ils notent l’absence de vision et de stratégie à moyen et long terme capable de mettre à l’abri notre économie nationale d’un éventuel naufrage couteux sur le plan social, économique et institutionnel. L’observation des analyses et les mesures prises par les institutions de l’Etat n’annoncent pas un changement de cap. Ainsi, le nouveau gouvernement de Aimen Benabderrahmane carburera au même rythme que le gouvernement sortant.
Le pouvoir d’achat des algériens sous tension
Le ralentissement de l’économie nationale pendant les années 2019, 2020 et 2021 et le résultat de plusieurs facteurs politiques, économiques et pandémiques. Les autorités du pays ne communiquent pas assez sur l’impact de la covid-19 sur l’économie nationale globalement et sur les ménages particulièrement. Et pourtant, la situation se fait sentir au quotidien. Le peu de chiffre qui ont été communiqué par les différents acteurs font froid au dos. Le secteur des bâtiments et des travaux publiques, déjà mis à mal par les coupes budgétaires suite à la chute des prix du pétrole en 2014, a vu plus de 500 000 emplois supprimés. La caisse des assurances (CNAS) a également perdu plus d’un demi-million de cotisants. Les chiffres concernant les entreprises fermées et les emplois perdus dans les autres domaines ne sont pas disponibles. Cependant, le secteur touristique notamment les structures hôtelières et les agences de voyages ont été gravement touchées. La réouverture des hôtels n’a pas réglé la situation. Pour les agences de voyage dont la billetterie est leur principale activité, nombre d’entre elles ont mis les clefs sous le paillasson. Un exemple concret d’une situation générale désastreuse. La baisse des recettes des petits commerces renseigne sur l’érosion du pouvoir d’achat des algériens. Une consommation en baisse qui impacte directement les carnets de commandes des entreprises. La dépréciation du dinar et la hausse des prix des produits de large consommation se font sentir chaque jour par les citoyens. Un défi que le nouveau chef de l’exécutif doit faire face surtout que les mouvements sociaux éclatent dans plusieurs régions. La cherté de la vie et son corollaire de dépréciation du dinar conjuguées à la crise de l’eau mettent le front social en ébullition. Une situation que les autorités ne veulent pas aggravée. Ainsi, elles refusent d’engager des réformes structurelles qui peuvent être douloureuses. La rationalisation des dépenses n’est pas à l’ordre du jour. L’expert économique Reda Amrani estime que le niveau des subventions qu’octroi l’Etat aux ménages via le soutien aux prix des différents produits de consommation est dans les normes. Pour lui, il ne représente pas plus de 10% du PIB. « L’Algérie est dans la moyenne mondiale des niveaux de subventions. Il ne faut pas les toucher d’autant plus que nous ne sommes pas encore prêts techniquement et socialement », a-t-il déclaré lors de l’émission Café des Experts Economique (CEE) de Radio M le 1er juillet dernier. Sur le même registre, un cadre du ministère de l’intérieur a annoncé la mise ne place d’un registre national des revenus pour revoir la politique des subventions. Il est évident qu’il faut revoir la politique des subventions à tout va et qui profite aux barons de l’importation et aussi aux familles en mesure de payer le prix réel des produits subventionnées. Sur ce dossier, on verra si le nouveau gouvernement avancera mieux que ses prédécesseurs.
Le nouveau gouvernement qui se veut plus économique que politique fera face très vite à des urgences financières surtout avec la dégradation de la situation sanitaire au début de cet été. Il n’a pas encore annoncé des projets importants et une vision cohérente pour faire face à la crise du moins à court et moyen terme. Par ailleurs, la mission de mobilisation des opérateurs économiques s’avère plus complexe face à un climat des affaires des plus défavorables à l’investissement.
L’exécutif rencontrera certainement de multiples obstacles mais il pourra faire mieux que son précédent. Ça dépendra de sa capacité à rassurer les marchés, les opérateurs économiques et les algériens d’une manière générale.
Aymen Mustapha