En Algérie, « le leadership stratégique des organisations (…) n’a pas les compétences morales et compétitives pour donner un «sens» existentiel aux entreprises et aux institutions », estime Ammar Hadj Messaoud (*), dans cette contribution.
Je souhaiterai, à travers cette contribution, partager avec vous quelques réflexions afin de cerner les causes profondes de la faiblesse chronique de la compétitivité des organisations algériennes. Cela est dû à l’absence d’un « sens existentiel dans le processus de planification stratégique des organisations, qu’elles soient à buts lucratifs ou institutionnelles. Preuve en est, tout ce qui se fait dans le cadre des réformes institutionnelle, de stratégie industrielle et des programmes de mise à niveau des entreprises résulte en échec en termes de capacités compétitives et de développement humain. La cause profonde, ou autrement dit la contrainte principale du système, réside au niveau du leadership stratégique des organisations. Ce leadership n’a pas les compétences morales et compétitives pour donner un « sens » existentiel aux entreprises et aux institutions. Ce « sens » constitue au fait la force motrice à travers laquelle sera assuré un remodelage du management et des tâches des travailleurs et les comportements des citoyens. Cette force morale représente les fondements sur lesquels se basera la construction d’une nouvelle organisation qui répondra aux changements rapides du contexte économique, technologique et socioculturel. Le leadership stratégique de l’âge de l’information émergente d’aujourd’hui devrait posséder des compétences spécialisées en leadership transformationnel, ce qui permettra à une nouvelle espèce de dirigeants de créer un avantage concurrentiel pour les décennies à venir.
Sans une bonne connaissance du processus de la planification stratégique, les dirigeants ou les gens avec les meilleures intentions rendent la compétitivité et le développement humain pire. En effet, la question que tout le monde se pose est la suivante : pourquoi les programmes de mise à niveau des entreprises et les réformes institutionnelles résultent-ils souvent en échec ? Pour y répondre permettez moi de reprendre une citation de Robert Arvey : « Tant que nous poursuivons l’inatteignable, nous rendons impossible le réalisable ». Pourquoi les changements désirés semblent inatteignables et conduisent souvent à la frustration et au désenchantement ? L’une des principales raisons pour lesquelles les entreprises et les individus ne parviennent pas à changer de manière efficace, c’est qu’ils formulent les objectifs de changement de manière inefficace. Ainsi, des objectifs bien formulés sont une clé importante pour la réalisation de la réussite du changement. C’est juste une question de la nature du leadership des organisations. Le leadership stratégique n’a pas de force motrice – au fait il ne sait pas comment la créer et la définir – qui lui permettra une gestion intégrée des ressources pour une production de richesse maintenant et durablement. Sans une force motrice le leadership stratégique des organisations, en faisant de leur mieux, ne font que tourner en rond en apportant des changements dans le système dans leur processus de planification stratégique, car c’est un leadership transactionnel et non pas un leadership transformationnel. Ce leadership transactionnel, qui n’a pas su se transformer en leadership transformationnel, a mis les organisations algériennes dans un cercle vicieux qui s’apparente au syndrome de Plossl. Plus ils accentuent leurs efforts pour améliorer la situation plus ils s’enfoncent et accentuent le recul des organisations algériennes en regard des moyens mis en place. En effet, étant donné que les entreprises est les institutions sont gérées selon des politiques désuètes, elles ne cessent de perdre en compétitivité ; cet état fait en sorte que l’encadrement stratégique est toujours sous pression et les projets sont naturellement improvisés ; cette improvisation – qui les maintient dans un rôle de pompier – les empêche d’apprendre de nouvelles règles d’engagement pour de nouvelles politiques de décision, ce qui fait qu’ils sont bel et bien dans un cercle vicieux.
La force motrice : les éléments de « voir grand »
« Là où il n’y a pas de vision les gens périssent. » Établir une vision et un plan stratégique, est une des tâches les plus stimulantes entreprise par une équipe ou une organisation. Dans ce contexte, la vision ne fait pas référence à quelques expressions simples, mais plutôt une articulation complète autour des éléments de l’état futur d’une organisation, en termes de valeurs, de processus, de structure, de technologie, des rôles et responsabilités et d’environnement. Les questions qui sont souvent posées par les dirigeants sont : « Quelles sont les étapes à entreprendre pour établir une vision et un plan stratégique efficaces permettant de guider mon organisation vers les buts et objectifs désirés? Et avec Qui ?» Les visions et les plans stratégiques efficaces sont créés, quand ils sont enracinés dans des principes directeurs représentant les doctrines ou les croyances que l’équipe de dirigeants a découvert. Ces doctrines et ces croyances doivent être traduites en besoins de comportements dans la conduite des affaires permettant de concrétiser leur vision.
La force motrice constitue un style de gestion qui intègre un énoncé de vision, un énoncé de mission et un énoncé du système de valeur. La vision est une image convaincante – ou la description – d’un état souhaitable de la réalité rendue possible par l’accomplissement de la mission d’une manière qui soit compatible avec les valeurs fondamentales des principales parties prenantes. Il s’agit d’une vision inspirante de l’avenir souhaité qui fournit le contexte de la mission et de la stratégie, elle donne une orientation à long terme et un sens à un niveau profond et humain. L’énoncé de mission quant à lui est une phrase ou deux, il n’a pas besoin d’être long, qui expose les raisons d’être ou d’existence de l’organisation. Cet énoncé de mission doit être suffisamment large pour permettre une certaine souplesse dans la mise en œuvre, mais pas trop large à permettre un manque de concentration et il est utilisé pour prendre les décisions de l’organisation. Il distingue votre entreprise des autres et définit clairement votre unicité en indiquant ce que vous proposez et sert d’outils d’orientation pour les employés. L’énoncé de mission deviendra le standard qui reflète les valeurs des membres, les croyances, les philosophies de fonctionnement de l’organisation et la culture. Il tient compte des objectifs réalisables et sert de source d’énergie et de points de ralliement. La planification stratégique, tactique et opérationnelle – au jour le jour – doivent être en harmonie avec la vision et l’énoncé de mission et les valeurs humaines qui épanouissent et anoblissent les employés.
Le changement personnel précède le changement organisationnel
Maintenant qu’en est – il des organisations algériennes ? Il est presque proverbial de dire que le changement personnel doit précéder ou du moins accompagner le changement managérial et organisationnel$; dans le cas contraire, la duplicité et le dédoublement de la pensée engendrent le cynisme et l’instabilité (n’a-t-on pas entendu récemment d’un homme politique, précédemment premier ministre, dire qu’il est temps de penser à l’avenir de l’Algérie ? je me demande qu’est ce qu’il faisait dans le cadre de ses responsabilités?) L’impératif pour les entreprises et les institutions est comme l’impératif de la vie qui est de croître ou de mourir, de s’agrandir ou de stagner. Lorsqu’on tente de changer un style de management ou d’organisation sans d’abord modifier ses propres habitudes, c’est aller contre les lois de la nature. On ne peut pas courir avant de pouvoir marcher, ou marcher avant d’aller à quatre pattes. Et on ne peut pas non plus changer notre style de management avant de changer d’abord nos habitudes personnelles. Ainsi, la nécessité d’un changement majeur dans la pensée et la pratique chez les dirigeants et les cadres est essentielle à cette transformation. La plupart des entreprises ou des institutions algériennes et leurs chefs n’ont pas changé en fonction des tendances relatives à l’excellence opérationnelles avec une finalité de valeur ajoutée apporté au client final. Les dirigeants stratégiques des organisations algériennes n’ont pas du tout su changer pour passer du leadership transactionnel au leadership transformationnel. Le leadership transformationnel est différent du leadership transactionnel. Le premier signifie que nous changeons les réalités de notre monde particulier pour qu’elles soient en conformité avec nos valeurs et nos idéaux, c’est-à-dire notre identité et nos croyances; le second vise une interaction efficace avec les réalités changeantes à travers des capacités et des compétences alignées sur les valeurs et les idéaux du leadership transformationnel. Le leadership transformationnel se concentre sur la ligne du haut; il est axé sur les principes et sur l’optimum global; le second se concentre sur la ligne du bilan, celle des résultats; il est axé sur les évènements qui sont subordonnés aux éléments qui conditionnent l’optimum global. Ces deux formes de leadership sont différentes sur d’autres points.
Le leadership transformationnel se base sur le besoin de signification, se préoccupe des objectifs et des valeurs, de la moralité et de l’éthique. Il transcende les problèmes de tous les jours et s’oriente vers la réalisation des objectifs à long terme sans compromettre les valeurs et les principes humains. Il distingue les causes et les symptômes et travaille à la prévention en prônant le profit (production de richesse et non gestion de la rente) comme base de croissance. Il est proactif, catalyseur, patient et se concentre d’avantage sur la mission et les stratégies. Il utilise pleinement les ressources humaines dans la production de valeur ajoutée pour le client final de l’organisation et non pas dans la production de gaspillages. Il identifie et développe les nouveaux talents, reconnaît et récompense les contributions significatives. Il conçoit des postes de travail pour qu’ils aient un sens et proposent des défis. Il libère les potentialités humaines et développe l’amour. Il s’oriente dans des directions nouvelles et aligne les structures et systèmes internes de façon à renforcer les valeurs et les objectifs de base.
Par contre le leadership transactionnel, quant à lui, se base sur le besoin de travailler et de gagner sa vie. Il se préoccupe des questions de pouvoir et de position, de politique et de privilège. Il s’embourbe dans les affaires courantes et voit à court terme. Il est axé sur les faits concrets, ne distingue pas les causes des symptômes et s’occupe davantage du traitement que de la prévention. Il se concentre sur les questions tactiques et s’appuie sur les relations humaines pour faciliter les interactions. Il respecte et satisfait les attentes des rôles en s’efforçant de travailler avec efficacité à l’intérieur des systèmes actuels. Il consolide les structures et les systèmes qui renforcent la ligne du résultat, optimise l’efficacité locale et garantit les bénéfices à court terme.
Il est évident que les deux types de leadership sont nécessaires. Mais le leadership transformationnel doit précéder, puisque c’est lui qui fournit le cadre de référence, les contours stratégiques dans lesquels les transactions ont lieu. Sans une vision claire du type de transformation requis, les dirigeants et les gestionnaires auront tendance à fonctionner en termes d’agendas sociaux et politiques. Le but du leadership transformationnel est littéralement de transformer les individus et les entreprises, d’en changer, et l’esprit, et le cœur, d’élargir leur vision, leur compréhension, de clarifier les objectifs, d’harmoniser les comportements avec les croyances, principes ou valeurs, et, enfin d’effectuer des changements qui sont permanents, qui se perpétuent et qui créent un mouvement en avant. L’histoire nous a montré qu’un seul individu peut être un catalyseur de changement, un « transformateur », dans n’importe quelle situation, dans n’importe quelle entreprise ou institution. Un tel individu est comme une pincée de levure qui peut faire lever un pain entier. Etre un leader transformateur exige une vision, de l’initiative, de la patience, du respect, de la persistance, du courage et de la foi.
(*) Ammar Hadj-Messaoud est Ingénieur et maître en sciences appliquées. Il dirige les opérations de Sciquom Conseil, firme spécialisée dans l’amélioration des capacités compétitives des entreprises et des institutions. Il dispose d’une longue et riche expérience en gestion des opérations. Il a occupé les plus hauts postes de gestion au sein de plusieurs entreprises multinationales au Canada. Ses principales responsabilités consistent à diriger les orientations et les stratégies en gestion des opérations et à fournir le soutien pour l’application des politiques et directives de gestion des différentes fonctions opérationnelles. Il est consultant auprès de plusieurs entreprises dans l’implantation de processus d’amélioration continue.