Partie le 18 février dernier pour se tenir sous un climat apaisé, les législatives virent au camp retranché derrière les barbelés de la répression. Qui y gagne ?
Le « #vendredi de la libération des détenus d’opinion » a mal tourné aujourd’hui sur la rue Didouche Mourad à Alger. Un détachement de policiers en civil a enlevé le professeur de l’USTHB Mehanna Abdeslam, de l’intérieur de la manifestation quelques minutes après son départ de la rue Victor Hugo et de Mesjed Errahma.
Une grande partie de la marche a campé l’après-midi entier à hauteur du commissariat du 6e arrondissement ou a été enfermé l’universitaire pour réclamer la libération de Mehenna, par ailleurs, membre du comité national pour la libération des détenus (CNLD).
De nombreuses autres interpellations étaient comptées à Alger – Nasser Meghnine président de SOS Bab El Oued – et dans les autres villes du pays avant, pendant et après les manifestations populaires du vendredi. Avec 23 grévistes de la faim à la prison d’El Harrach, une affaire de violence policière sur mineure retournée en complot d’activistes, des interpellations tous les mardis et tous les vendredis dans le pays et la poursuite des présentations et des mandats de dépôt, le climat politique s’est considérablement dégradé depuis les mesures du 18-20 février 2021 qui, par l’élargissement d’une cinquantaine de détenus d’opinion, suggéraient un renoncement à la « méthode forte » pour engager le calendrier des élections législatives.
La rechute est brutale. A t’elle été pensée ainsi par Abdelmadjid Tebboune lorsqu’il se voulait apaisant il y’a deux mois ?
Séparatisme et terrorisme
Le régime Gaïd Salah-Tebboune- Chengriha a recouru à deux reprises à des arrestations en série de militants du Hirak populaire afin de passer un cap électoral.
La première vague entamée en juin 2019, s’est accélérée en septembre et octobre de la même année avec l’espoir de faire fléchir la contestation massive du vote présidentiel sous embargo du 12 décembre.
La seconde vague est arrivée dans le sillage du 22 février 2020, qui a montré la vivacité de la mobilisation contre le passage en force de la présidentielle. Elle a ciblé tous les milieux d’acteurs de la mobilisation et s’est élargit aux journalistes. Khaled Drareni en est devenu l’incarnation mondiale du détenu personnel de Abdelmadjid Tebboune. Le nouveau chef d’Etat avait pourtant élargi plus de 70 détenus le 02 janvier 2020, avant de reprendre à son tour le fil des incarcérations politiques.
La 2e vague des arrestations a été rendue plus « confortable » à cause du confinement et de l’arrêt des marches populaires en mars 2020. Elle était censée à la fois briser les velléités de poursuite du Hirak et protéger le référendum constitutionnel, reporté au 1e novembre, et néanmoins, ignoré spectaculairement par les algériens.
La 3e vague qui se développe depuis trois semaines avec les premiers mandats de dépôt, a fait l’objet d’un justificatif explicite par le haut conseil de la sécurité. Le 06 avril dernier, l’instance présidée par le chef de l’Etat a désigné les cibles du moment : « les milieux séparatistes et les mouvances illégales proches du terrorisme, qui exploitent les marches hebdomadaires’. Le président, affirme le communiqué a donné « instruction pour l’application immédiate et rigoureuse de la loi en vue de mettre terme à ces activités non innocentes et à ces dépassements sans précédent, notamment à l’égard des institutions et symboles de l’Etat ».
Tebboune avalise
Le président Tebboune sait il vraiment dans quelle galère il s’embarque en signant un tel communiqué ou fait il comme lorsqu’il répète, sans précaution le 1er mai 2020, ce que lui souffle ses services dans le cas du journaliste Khaled Drareni ?
Les milieux séparatistes font référence au MAK qui est au mieux absent du Hirak au pire hostile, car les kabyles y sont engagés et croient à un destin démocratique algérien. La menace de sévir contre le MAK pour stigmatiser le Hirak est intégralement farfelue. Le fait qu’elle soit endossée par Abdelmadjid Tebboune, laisse penser qu’il ne connaît pas les données du terrain et qu’il suit sans être éclairé par ses conseillés ce que lui propose les sécuritaires.
La seconde allusion n’est pas moins hallucinatoire. Elle veut placer le terrorisme islamiste défait et démanteler depuis bientôt 20 ans dans le camp du Hirak. Les mots d’ordre largement repris contre la police politique seraient donc une simple revanche du terrorisme sur les institutions de l’Etat. Lorsque cet aval est obtenu auprès de Tebboune par les sécuritaires pour « traiter » le hirak il donne une couverture à une campagne d’arrestation de militants populaires, humanitaires, universitaires. Des acteurs du Hirak. Sans aucun lien avec la fantasmagorie du séparatisme ou des référents au terrorisme.
Les services de sécurité ont à nouveau réussi à entraîner – trop facilement – la façade civile du régime dans une réponse répressive cuisinée à une demande politique persistante. La revendication de l’Etat civil est portée par toute la partie de l’Algérie qui marche depuis deux ans pour en finir avec la domination désuète de l’ANP sur la vie politique nationale, obstacle largement identifiée à l’émancipation d’une citoyenneté souveraine dans un Etat démocratique.
Un cout politique impensé
Les deux premières vagues de répression déclinent un bilan très mitigé. Les deux rendez vous électoraux des présidentielles et du référendum constitutionnel se sont tenus. Mais les bénéfices politiques que peut en tirer le système de pouvoir algérien pour se reconstruire sur les décombres du bouteflkisme, sont proches d’être nuls.
Le rejet populaire demeure profond. Il menace de s’amplifier avec la crise sociale. L’addiction à la répression est le symptôme clinique le plus visible de l’impossibilité de « faire pacte » et de « produire du sens » autour de la farce de l’Algérie nouvelle.
Abdelmadjid Tebboune a déjà anticipé la fatalité d’une participation anecdotique aux élections législatives. Il a affirmé que seul le résultat en serait important. Il semble même avoir admis qu’une région entière du pays, la Kabylie, s’apprête, à cause de cet entêtement à fermer le jeu, à ne plus être représentée au parlement du pays.
Les législatives n’ont plus d’enjeu de participation. Pourquoi alors lancer une nouvelle vague d’arrestations dans le hirak au coût politique mal considéré – dans le style de l’arrestation et des accusations contre Khaled Drareni qui ont mis avec celle des détenus de la 2e vague, l’Algérie au ban des nations démocratiques ? La majorité parlementaire va t’elle dépendre du nombre de détenus politiques cumulés d’ici au 12 juin ? La crédibilité du scrutin va t’elle être sauvée si l’opinion assiste au scénario médiocre de la répression fictive « des séparatistes et des crypto-terroristes. » ? Abdelmadjid Tebboune a t’il réfléchit à sa seconde rechute en territoire des mandats de dépôt afin de vérifier à quel but réel elle correspond ?