Tunisie : Mehdi Jomaâ face à une équation budgétaire politiquement délicate - Maghreb Emergent

Tunisie : Mehdi Jomaâ face à une équation budgétaire politiquement délicate

Hakim Ben Hammouda
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Hakim Ben Hammouda

« La Tunisie ne travaille plus depuis la révolution ». En toile de fond du parler-vrai de Mehdi Jomaâ, une situation budgétaire très difficile. Un gouvernement dont la mission principale est d’organiser des élections peut-il s’attaquer, sans risque, au système de subventions ? C’est presque la quadrature du cercle !

Où trouver 1,8 milliard d’euros pour combler le déficit budgétaire pour l’année 2014 ? De l’aveu du Premier ministre Mehdi Jomâa, c’est la question pressante à laquelle le gouvernement transitoire tunisien doit trouver une réponse sachant que le déficit budgétaire pour l’année à venir pourrait atteindre 8% du Produit intérieur brut (Pib). Et de l’aveu du responsable politique nommé en janvier dernier, il n’y a pour l’heure aucune solution concrète qui se dessine, si ce n’est la perspective d’une tournée des grandes capitales pour lever de nouveaux crédits. France, Grande-Bretagne, Etats-Unis mais aussi pays du Golfe, Mehdi Jomaâ va donc prendre son bâton de pèlerin pour convaincre ces bailleurs de fonds d’en faire plus. Ou tout simplement de tenir leurs promesses d’aide formulées lors du printemps 2011, quand une bonne partie des pays industrialisés s’enthousiasmait pour la révolution du 14 janvier de la même année (cela en attendant que l’Algérie fasse un geste, ce qu’espère grandement Tunis).

« Ces trois dernières années, nous n’avons pas travaillé… »

S’adressant aux téléspectateurs tunisiens le 3 mars dernier, Mehdi Jomâa a donc opté pour une franchise directe à propos des finances publiques. Dans la foulée, et c’est peut-être encore plus important, il a appelé ses concitoyens à faire des sacrifices et à se remettre au travail pour éviter que la situation économique dans son ensemble ne devienne « catastrophique ». « Il faut que nous soyons sincères : pendant ces trois dernières années, nous n’avons pas travaillé. L’administration n’a pas travaillé, les compagnies n’ont pas travaillé, nous n’avons pas respecté les lois. Ce n’était pas ce que nous attendions de la révolution […]. Une autre révolution nous attend, celle des mentalités », a insisté Mehdi Jomâa en critiquant de manière assez explicite les recrutements opérés dans la fonction publique par le gouvernement précédent qui était contrôlé par les islamistes d’Ennahdha. Une prodigalité, qui de l’avis de nombreux experts, a contribué à plomber les finances de la Tunisie. En tout état de cause, le chef du gouvernement tunisien a été clair : il n’y aura plus de recrutements dans le secteur public. Un message ferme qui aura certainement son importance lorsque la campagne électorale pour les prochains scrutins aura commencé. En 2011, Ennahdha avait promis des emplois dans l’administration et cet engagement avait été tenu avec plus de 10.000 postes créés voire plus selon les observateurs (une statistique non officielle avance le chiffre de 30.000 postes). Dans le même temps, Mehdi Jomâa n’a pas pris le risque d’évoquer des licenciements ou des baisses de salaires mais son message a été clair : pas de baisses de salaires, certes, mais pas d’augmentations non plus et cela dans un contexte où la cherté de la vie inquiète les Tunisiens. Quant à la question des « sacrifices », de nombreux observateurs y ont vu le premier pas d’une approche pédagogique destinée à faire admettre à la population la nécessité de couper dans les dépenses publiques et notamment les subventions aux produits de première nécessité et à l’énergie.

Risque de crispation sociale

Le problème n’est pas nouveau. Cela fait plus d’une décennie que les institutions financières internationales recommandent que la Tunisie modifie la structure de son budget en réduisant ces subventions. Un sujet dont le régime de Ben Ali ne voulait pas entendre parler au nom de la paix sociale. Confrontés à une vraie crise budgétaire, Mehdi Jomâa et son équipe vont certainement tenter de réduire des dépenses qui ont explosé au cours de ces trois dernières années pour atteindre 5 milliards de dinars en 2013 soit plus de 2 milliards d’euros. Au risque de crisper une société qui est loin d’être sereine. Bien sûr, l’Etat d’urgence vient d’être levé et les autorités se félicitent de l’amélioration de la situation sécuritaire. Mais, preuve du caractère délicat de cette question des subsides, l’augmentation récente du prix de la boite de concentré de tomate, un aliment soutenu (et très utilisé), a engendré de multiples protestations, les réseaux sociaux faisant état d’une grogne réelle dans les quartiers populaires.

Réformer avant ou après les élections ?

Durant les semaines qui viennent, les décisions du gouvernement Jomaâ vont donc être examinées à la loupe. Va-t-il prendre le risque de réformer le système de subventions alors que de nombreux politologues tunisiens estiment que sa mission première est de préparer les prochaines élections et de ne pas s’engager dans des réformes structurelles d’importance ? Pour le patronat privé tunisien (Utica), qui a été l’un des moteurs du dialogue national ayant abouti à la composition du gouvernement transitoire, Mehdi Jomâa a toute la légitimité pour assainir les finances publiques du pays et améliorer la situation économique. A l’inverse, pour l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), le pouvoir d’achat des ménages tunisiens ne doit pas subir de dommages et la centrale a mis en garde contre des mesures en ce sens. C’est dans ce contexte budgétaire incertain que la Banque européenne d’investissement (BEI) a annoncé qu’elle octroierait 500 millions d’euros à la Tunisie dont 150 millions accordés à l’Entreprise tunisienne des activités pétrolières (Etap), un prêt destiné à développer l’exploitation de champs gaziers. Cet engagement de la BEI, loin d’être anodin, est-il le signal qu’attendent les bailleurs de fonds pour aider la Tunisie ? Pour le savoir, il faudra attendre le résultat du « road-show » de Mehdi Jomâa qui devrait avoir lieu au cours du printemps.

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