Organiser des élections sans avoir, au préalable, réformé la législation nationale, c’est prendre le risque de diffracter la maffia à tous les échelons du pays, puisque nos lois injustes permettront les mêmes abus au niveau municipal que ce qu’on avait au niveau national*.
L’ISIE (instance supérieure indépendante pour les élections, NDLR) et certains partis ont hâte d’organiser les élections municipales au nom de l’État de droit. Or, c’est la bonne compréhension de l’État de droit lui-même qui commande qu’il n’y ait pas d’élections municipales avant d’avoir réalisé la réforme de la législation de la dictature.
Conformer le droit positif du pays à sa Constitution restée lettre morte quant à ses acquis en termes de libertés et droits citoyens est l’acte majeur par excellence dans un État se voulant de droit.
C’est ce qu’attend aussi et surtout le peuple qui a soif de droits et de libertés; or, il n’y a pas encore de leader charismatique patriote dans le pays pour aller dans le sens de ses exigences légitimes.
Abolition préalable de la législation de la dictature
En effet, le pays souffre encore des lois du régime déchu; or, il n’est d’État de droit qu’avec des lois justes. On en est loin avec les lois scélérates de la dictature, ces mêmes lois qui ont donné lieu aux abus de la maffia qui était au pouvoir.
Aussi, organiser des élections sans avoir, au préalable, réformé la législation nationale, c’est prendre le risque de diffracter la maffia à tous les échelons du pays, puisque nos lois injustes permettront les mêmes abus au niveau municipal que ce qu’on avait au niveau national.
Certes, on peut dire qu’il n’est de démocratie que locale; or, avant d’être locale, la démocratie doit être nationale, basée sur des lois justes. D’autant plus que le peuple y est prêt et ne peut plus être berné avec ce qu’il qualifie de « boulitik », cette politique dévergondée; même et y compris quand elle se prétend antique.
On pourrait aussi dire que la réforme nationale prendra du temps alors que la situation est critique dans les municipalités. C’est un argument fallacieux, ad hominem (contre soi) même, en ce sens que ce qui n’est pas possible aujourd’hui avec des autorités centrales, ne le sera pas, à plus forte raison, demain, avec des autorités autonomes.
Car ce qui est censé engager les deux et les retenir contre les abus, ce sont les lois nationales justes; or ce qui est toujours en place empêche toute évolution sérieuse contre les abus et pour le vivre-ensemble démocratique.
On le voit bien avec la dernière loi de réconciliation administrative qui, bien qu’elle part du bon sentiment de justice, est rejetée par le pays du fait qu’elle vient dans un environnement de plus grande injustice, les fonctionnaires brimés ne manquant pas dans l’administration et qui, bien qu’ils n’aient commis aucun méfait, contrairement aux futurs bénéficiaires de la nouvelle loi, n’ont pas eu et n’auront pas justice pour des raisons fallacieuses.
De plus, comment organiser des élections alors le texte fondateur des élections municipales qu’est le Code des collectivités locales n’a pas encore été adopté ni même discuté. Est-il sérieux de vouloir organiser des élections voulant instaurer la démocratie dans les régions en se basant sur un code de la dictature qui ne fera que capillariser dans les municipalités les abus du pouvoir central?
La démocratie ne se réduit pas aux élections
Au vrai, on soupçonne ceux qui poussent à organiser au plus tôt les élections municipales de n’agir que pour des intérêts de leur parti et non de la patrie, car le scrutin retenu, le plus mauvais pour nos habitudes et mœurs, sert les deux grands partis au pouvoir.
La démocratie, la vraie, ne se réduit pas à des élections; elle est d’abord dans des lois justes. Ce qui n’est pas encore le cas en Tunisie. Aussi, organiser les élections sans avoir aboli, ou du moins, gelé les lois les plus scélérates de l’ancien régime par un moratoire, c’est risquer d’avoir l’ancien régime, ses pratiques et son esprit, dans nos municipalités au lieu d’être circonscrit encore au niveau national.
On l’a vu avec l’arrivée de la plus grosse négation de la démocratie dans l’histoire contemporaine, Hitler arrivant au pouvoir par des élections. Veut-on des Hiltérion nationaux dans nos municipalités? La Tunisie ne manque par de « zaïmillons » qui veulent le pouvoir pour en abuser là où cela leur est possible, quel que soit le domaine, y compris dans celui où doit normalement prévaloir le fair-play.
Le jeu politique sain aujourd’hui, en Tunisie, commande de l’éthique qui impose de commencer, toutes affaires cessantes, d’enlever leur effet aux lois les plus scélérates dans le pays afin qu’il n’y ait plus ce sentiment d’injustice qui alimente la défiance à l’égard de la classe politique; c’est ainsi rendre ses lettres de noblesse à la politique, devenue poléthique.
Est-ce que l’intérêt du pays, et de l’ISIE, est d’organiser des élections, ou d’avoir une participation la plus élevée à des élections honnêtes où le jeu est ouvert et où tout un chacun a le même droit d’y réussir pour gérer sa commune que les parachutés des mastodontes politiques qui ne sont rien dans la commune? Or, même l’inscription sur les listes électorales a été un total échec; cela déjà devrait militer pour tout reprendre en arrêtant de se soucier des seules élections.
Ce qu’il faut, c’est d’abord agir pour restaurer la confiance manquante entre le peuple et ses élites qui ne pratiquent pas encore une politique éthique, cette poléthique impérative plus que jamais. C’est avec un cadre légal national assaini où il n’y aura plus de raison de se plaindre d’injustices de la part des citoyens que l’on pourra alors organiser des élections qui seront d’autant plus justes qu’elle se tiendront selon un nouveau Code au service d’une authentique démocratie locale participative.
Or, on pourrait commencer sans plus tarder une telle œuvre salutaire, dont ne veulent pas certaines parties, et ce même par de simples textes administratifs, contournant la lourdeur machinerie de la loi. Ainsi confirmera-t-on l’Exception Tunisie qui sera alors un véritable printemps tunisien, tenant les promesses du Coup du peuple de Tunisie.
(*) Nous republions les articles de Farhat Othman, avec son aimable accord. Cet article a été publié initialement sur son blog.