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Crowdfunding : Quand les internautes participent au financement de leurs médias en ligne

Par Yazid Ferhat
mars 26, 2016
Crowdfunding : Quand les internautes participent au financement de leurs médias en ligne

Grâce au crowdfunding ou financement participatif, les lecteurs, auditeurs, fans et followers des réseaux sociaux contribuent désormais directement à des projets, voire à la pérennité des médias en ligne qu’ils affectionnent. De plus en plus utilisée en Europe, la pratique s’immisce timidement en Algérie, en dépit de l’absence de paiement électronique.

 

Une webradio, un tour d’Algérie, un prix d’investigation, une rihla… les initiatives sollicitant la générosité des internautes sur les plateformes de financement participatif  (crowdfunding) présentent un champ varié d’actions. Mais toutes ont comme point commun d’avoir suivi la même procédure de sollicitation : après avoir bien ficelé et rédigé leurs projets,  les candidats envoient leurs dossiers à une plateforme de crowdfunding qui décide ou non de le valider. En cas d’acceptation, il est mis en ligne, accompagné d’une description détaillée, du montant demandé et du temps imparti pour la récolte des fonds. Si l’objectif est atteint, le projet pourra se concrétiser. Sinon, les donateurs seront remboursés. « Le financement participatif est donc un levier qui permet au grand public de soutenir financièrement et collectivement une idée ou un projet qui le séduit », résume dans « ses fondamentaux » la plateforme française Kisskissbankbank qui abrite plusieurs projets algériens. Dernier en date parmi eux : celui de la webradio Radio M, « la petite radio du grand Maghreb », diffusée par l’agence Interface Médias qui édite aussi le journal en ligne Maghreb Emergent, spécialisé en économie.

Lancée le 15 mars, la campagne « Devenez acteur de l’histoire de Radio M » vise à collecter, en trois semaines, 5.000 euros destinés à « poursuivre et étendre le travail d’information libre et indépendant » débuté en janvier 2014.   « En deux ans d’existence, Radio M a réussi à s’implanter sur le terrain en friche des webradios.  Pas à pas, elle s’est équipée et s’est professionnalisée […] Mais pour continuer, de nouvelles ressources sont nécessaires. Or, sur un marché encore balbutiant des webradios et des sites d’information en ligne, les annonceurs demeurent timides », indique le descriptif du projet en détaillant précisément « À quoi servira la collecte ? ». « Radio M se trouve à un carrefour où elle n’est plus tout à fait un projet naissant et balbutiant pour solliciter des subventions mais, en même temps elle n’est pas encore complètement professionnelle pour obtenir des revenus commerciaux suffisants à son fonctionnement », détaille Ihsane El Kadi, directeur de l’agence Interface Médias et de Maghreb Emergent et fidèle intervenant du « Café presse politique » (CPP), le « talk politique » à succès de la webradio, animé par Souhila Benali, qui décrypte chaque jeudi l’actualité avec des journalistes.

 

La force des auditeurs

 

« Ce modèle de financement permet aussi de tisser des liens avec notre communauté d’auditeurs et de nous rapprocher d’eux en utilisant notamment la proximité offerte par les réseaux sociaux », poursuit le directeur d’Interface Médias. Depuis le lancement, il y a plus d’une semaine, de courtes vidéos d’animateurs ou intervenants à des émissions sont ainsi régulièrement partagées sur Facebook et Twitter pour convaincre les internautes du « Pourquoi faut-il aider Radio M ? ». « Ces vidéos qui utilisent le capital sympathie des journalistes et bénéficient de leur audience et d’influence, ont été très partagées », témoigne Meliza Beghdad, community manager (responsable de l’animation des réseaux sociaux) de Radio M. « D’ailleurs, la majorité des dons proviennent de Facebook », souligne la jeune femme. La perspective d’associer le lecteur au travail du journal a aussi été la motivation principale au recours du financement participatif pour le site d’information Algérie Focus. Le pure-player, qui fut l’un des premiers médias algériens à recourir au crowdfunding, a sollicité en 2013 et 2014 une collecte de 2.500 euros sur Kisskissbankbank pour financer le projet « Algérie Focus Tour », un périple à la rencontre d’initiatives positives sur le territoire national. « Le crowdfunding permet de faire participer le lecteur au montage financier de nos projets éditoriaux. On le responsabilise et on lui donne un rôle clé dans la fabrication de l’information », souligne Abdou Semmar, rédacteur en chef d’Algérie Focus. « En plus, c’est un modèle de financement original qui permet de garantir la liberté et l’indépendance éditoriale en passant directement par le lecteur sans dépendre des caprices des publicitaires »,  pointe Abdou Semmar qui voit dans le crowdfunding des « perspectives très prometteuses si l’on dispose d’une grande communauté de lecteurs ». 

 

L’aide de la diaspora

 

Mais sans paiement électronique, ni cartes de crédit, comment lever de l’argent virtuellement en Algérie ? La question récurrente n’a pas manqué d’être posée sur les comptes sociaux de Radio M. « On part du principe que cette contrainte technique ne doit pas être un frein, sinon on renonce à toute tentative d’innovation », répond Ihsane El Kadi qui n’en est pas à sa première levée de fonds participative. En mars 2014, Maghreb Emergent avait lancé une campagne de crowdfunding pour financer le « Prix Ali Boudoukha du journalisme d’investigation » en mémoire à Ali Bey Boudoukha disparu en 2011, éminent journaliste, cofondateur de l’agence de presse Interface Médias et correspondant de Radio France internationale (RFI) en Algérie. « Pour cette première, déjà, nous nous étions longuement posés la question de la faisabilité d’une telle opération en Algérie », rappelle le rédacteur en chef de Maghreb Emergent. La levée de fonds fut un succès avec 3450 euros récoltés sur 2500 demandés initialement. En dépit de l’absence de moyens de paiement électronique, le crowdfunding est pertinent  pour les médias algériens qui peuvent faire appel à leur diaspora,  soulignait déjà en 2013 Benoît Thieulin, directeur de l’agence française d’innovation numérique La Netscouade, lors d’un atelier autour des « nouveaux médias » organisé à Alger par l’agence française de coopération des medias CFI.

  « La diaspora ou les immigrés algériens en France, Italie, Etats-Unis conservent un lien très fort avec le pays, s’intéressent à l’actualité et aimeraient peser, ce que le crowdfunding leur permet de faire. », relevait Benoît Thieulin. Une cible privilégiée donc pour les projets algériens comme l’atteste Mehdi Drissi, co-initiateur du projet « On Orient Tour » (https://fr.ulule.com/onorientour/), « une « rihla رحلة » moderne ­(déplacement physique et voyage existentiel) entreprise par 4 jeunes explorateurs à travers les pays du Maghreb et du Moyen-Orient » qui a réussi à récolter 10.000 dollars sur la plateforme Ulule. « Notre base-fan était basée entre la France, l’Algérie et le Maroc. Avec l’Algérie ça s’est révélé compliqué. Nous avions l’aide d’un financier, mais qui n’a pas pu passer par la campagne crowdfunding, il nous a donc donné un chèque en dinars que nous avons utilisé une fois sur place », témoigne le photographe de 25 ans. « Il existe toujours des solutions », conclut Ihsane El Kadi. « Quand on veut vraiment aider, on peut y arriver ». 

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