Les deux experts ont affiché à Adrar devant étudiants et experts allemands de Desertec, une franche divergence sur la soutenabilité d’une alternative d’énergie verte en Algérie. Juste un clivage sur l’agenda de la transition énergétique ?
La conférence organisée à l’université d’Adrar ce mercredi 08 janvier sur le thème de Desertec et des énergies renouvelables a révélé au nombreux public étudiant présent deux approches algériennes divergentes sur la question de l’agenda. La première, sceptique, a été portée par Mustapha Mekidèche, vice-président du CNES et expert énergétique ; la seconde, volontariste, par Toufik Hasni spécialiste de la filière renouvelable. Le déploiement des deux visions a fait des étincelles devant des invités allemands qui ont eu à arbitrer à leur corps défendant. Le tout en l’absence particulièrement remarquable, de tout représentant direct du ministère de l’énergie et des mines, de Sonatrach ou de Sonelgaz.
Mustapha Mekidèche a eu les faveurs de l’ouverture de la conférence, et s’est lancé rapidement dans une série de réserves sur la possibilité de l’émergence dans un délai temporel visible d’une demande européenne pour l’électricité solaire supposée venir à la rencontre de l’offre de la rive sud de la méditerranée, selon le concept de Desertec. Il en a pris pour preuve, l’effondrement du marché des entreprises liées au solaire et à l’éolien en Espagne et en Allemagne notamment. Il a évoqué le retard considérable pris dans l’interconnexion électrique européenne qui fait que l’Union Européenne n’est toujours pas un marché intégré pour un fournisseur d’électricité qui y entre. Il a cité le montant colossal de 100 milliards de dollars qu’il faudra mobiliser dans une Europe désargentée pour réaliser ce réseau interconnecté. Mustapha Mekidèche a pointé un retour en force du nucléaire dans les pays du nord de l’Europe, Grande Bretagne en tête, parié sur le maintien de l’essentiel du système électro-nucléaire français dans la durée. « Les français ne vont pas switcher comme cela. Ils sont d’ailleurs revenus sur les accords de Grenelle », explique-t-il. Il a parlé aussi du report allemand à 2020 des arbitrages sur la place du renouvelable une fois réalisée la sortie en cours du nucléaire. Mustapha Mekidèche s’est presque réjouit du retrait des investisseurs Espagnols du projet de la centrale solaire de 500 mégawatts à Ouarzazate au Maroc: « On nous a tellement parlé de Ouarzazate, voyez ce que cela devient », a-t-il dit, pointant un emballement irrationnel autour des projets des centrales solaires CSP (concentrée) encore économiquement immatures. Il a affirmé que son point de vue n’était » qu’un point de vue parmi d’autres en Algérie »; mais il a tout de même pris soin de souligner que celui de l’expert qu’il est, n’était pas très éloigné de celui du vice-président du CNES qu’il est également. Au bout de son scepticisme vis à vis de l’agenda des énergies renouvelables en Algérie, Mustapha Mekidèche s’est posé la question surprenante de savoir si la transition énergétique avait bien commencée en Europe. Une pointe qui a eu le don de gêner Mohamed Fechkeur, l’affable Président du groupe privé algérien RedMed, organisateur de cette conférence en partenariat avec l’université africaine de Adrar supposée, pour son entame, démarrer sur un plaidoyer franc pour les énergies renouvelables.
La crise a donné raison à Mekidèche, mais…
L’intervention de Mustapha Mekidèche n’a pas pu aller à son bout, le président de séance Abdelmadjid Attar n’ayant pas accordé plus de 10 minutes de rallonge à l’exposant, ce qui n’a pas été du goût du polémiste décidé à « faire passer » son « message ». Elle a laissé un certain malaise dans le public venu plutôt entendre, au moins en guise d’introduction, un exposé sur la nécessité d’engager au plus vite la transition énergétique en Algérie. Certes Mustapha Mekidèche a rappelé que le gouvernement a publié en 2011 un programme ambitionnant de produire 40% de l’électricité à partir de sources renouvelables ; c’est-à-dire 22 gigawatts dont 10 gigawatts destinés à l’exportation. Mais c’était aussitôt pour montrer que le contexte énergétique européen n’était pas favorable pour accueillir de l’électricité verte maghrébine ou algérienne à l’échéance de 2020. Il a également repris à son compte, en insistant, la nécessité de profiter de ce programme pour intégrer localement les composants: « Aucun producteur arabe de pétrole n’a réussi à construire des équipements de l’industrie pétrolière chez lui. Il faut éviter de refaire cela avec le renouvelable ». Mais tous les arguments empilés ainsi prenaient au fil des minutes l’allure d’un réquisitoire contre la prétention de faire entrer rapidement l’Algérie dans une transition énergétique en l’absence de certitudes fortes sur l’avenir économique des énergies renouvelables. Ce même discours a été tenu avec plus de sérénité par le conférencier, il y’ a deux ans chez les allemands de l’organisme de coopération GTE à Alger. L’argumentaire est, depuis, devenu plus clivant et plus polémique. Sans doute parce que les évènements ont, il faut bien l’admettre, donné raison au scepticisme de Mustapha Mekideche. La crise économique européenne a réduit les perspectives de croissance de la demande d’électricité verte et réduit les subventions qui en soutenaient l’écosystème en Europe. Mais si le court terme des cinq années justifie la prudence défiante de Mustapha Mekidèche à l’égard de l’industrie du renouvelable, que dit le moyen terme des 10 à 15 ans ?
Le slide de Toufik Hasni qui change tout
Toufik Hasni, l’ancien PDG et fondateur de Neal, la filiale de Sonatrach et Sonelgaz pour les énergies nouvelles, a « choqué » le modérateur allemand du panel, Daniel Gerlach, directeur d’édition, lorsqu’il montra le slide de la prévision de croissance de la consommation énergétique domestique algérienne. Dans le scénario bas d’une simple poursuite du chemin de croissance actuelle de la demande de l’électricité, l’Algérie aurait besoin de 150 térawatts en 2030. Pour les produire, il faudrait 85 milliards de m3 de gaz: « autant vous dire tout de suite que nous les avons pas ». Mais plus alarmant, le scénario n’est même pas soutenable en 2020 ou la consommation interne nécessiterait 60 milliards de m3 de gaz, également non disponible si un minimum d’exportations doivent se poursuivre. Le virage vers le renouvelable n’est presque plus un débat d’opportunité par les coûts en Algérie. Il devient un plan de substitution d’urgence à une ressource (le gaz naturel), incapable de fournir l’électricité aux Algériens, si leur consommation se développe selon le schéma actuel. L’affaire serait déjà entendue, si ce n’est que Toufik Hasni estime que le premier effort est celui des économies à faire pour infléchir le modèle de consommation. L’autoconsommation de Sonatrach par le gaspillage des gaz torchés à elle seule fait perdre jusqu’à 6,5 milliards de m3 de gaz par an qui pourraient servir à hybrider le solaire concentré pour assurer une continuité de la fourniture au réseau électrique de nuit. Sonelgaz pourrait faire le même effort sur ces vieilles centrales à gaz énergétivore, le secteur du résidentiel (les citoyens) doit à son tour entrer dans le plan de l’efficacité énergétique. Pas plus de 45 milliards de m3 dédiés à la génération de l’électricité en 2030, telle devrait être l’objectif à atteindre.
La soutenabilité du mix à fort composant d’ENR
Toufik Hasni a ensuite répondu point par point aux doutes émis par Mustapha Mekidèche sur la soutenabilité d’un mix à fort composant d’énergie renouvelable. Mais il le fera en l’absence de son polémiste, qui a choisi de prendre un peu de soleil durant l’intervention de l’ancien patron de Neal. L’engagement rapide en faveur du solaire notamment le CSP (le solaire concentré) peut aider, aux côtés des autres mesures d’économies, à gagner 600 milliards de mettre cubes de gaz en 25 ans. Les arguments pour cela sont simples: 170 000 térawatts disponibles au Sahara pour le solaire concentré, 10 000 térawatts pour le photovoltaïque, 1m2 de panneau solaire saharien équivaut entre un et deux barils de pétrole. Au-dessus d’un baril de pétrole à 100 dollars, l’électricité solaire est plus rentable. Si en plus une partie des subventions qui soutiennent l’énergie carbonée lui sont dédiées alors tout peut aller beaucoup plus vite. A commencer par Adrar même ou le pétrole du petit gisement de Hassi Sebaa est cédé à la sortie de la nouvelle raffinerie en dessous de son prix de revient et également au profit d’un partenaire chinois. Pour Toufik Hasni, la part du renouvelable actuelle dans la production d’électricité est de 0,017% et non pas de 2% comme l’a affirmé Mustapha Mekidèche avant lui. Elle dénote que le plan du renouvelable n’est pas engagé. « Il n’existe pas de volonté politique en faveur du renouvelable en Algérie. C’est une chose claire », précise-t-il. L’intervention de Mekidèche en avait, il faut le dire, laissé entrevoir un échantillon, même si celui-ci s’est défendu d’être contre le renouvelable. Pourtant, une dernière question posée dans un amphithéâtre devenu clairsemé au bout de 4 heures et demie de travaux va livrer le fond de la pensée de Mustapha Mékidèche: « Pourquoi fait-on encore la guerre dans le monde à cause du pétrole s’il va être remplacé par les énergies renouvelables ? ». « Parce que le pétrole et le gaz vont rester très importants pendant encore de longues années » a répondu Mustapha Mekidèche. Il y a deux mois, Ali Hached, conseiller du ministre de l’énergie et des mines, épiloguait une intervention lors de la conférence organisée sur l’énergie par le FFS en des termes sensiblement équivalents. La controverse entre Toufik Hasni et Mustapha Mekidèche n’est finalement pas juste une affaire d’agenda de la transition énergétique.