Par Ezzedine GHLAMALLAH, Chercheur au Centre d’Etudes et de Recherche en Gestion de l’Université d’Aix-Marseille (CERGAM).
La Banque d’Angleterre, par la voix d’Andrew Hauser, Directeur exécutif des marchés, vient d’annoncer le lancement d’une facilité de dépôt islamique au premier trimestre 2021.
Cette allocution donnée le 2 décembre dernier, et publiée sur le site de la Banque des Règlements Internationaux, a fait grand bruit dans le monde de la finance islamique. En effet, cet instrument est le premier outil de gestion de la liquidité offert par une banque centrale occidentale conforme aux règles islamiques. Cette solution conçue par la Banque d’Angleterre doit permettre à la fois d’uniformiser les règles en matière de gestion de la liquidité des banques islamiques britanniques, et de répondre au besoin de ces dernières en matière d’actifs sans intérêt de haute qualité.
Jusqu’à présent, les banques islamiques britanniques étaient désavantagées vis-à-vis de leurs homologues conventionnelles ayant accès à un large éventail d’actifs de gestion de la liquidité de haute qualité, qu’il s’agisse de valeurs mobilières émises par des entreprises ou des États. En effet, l’interdiction pour les banques islamiques de payer ou de percevoir des intérêts signifie qu’elles ne peuvent pas avoir accès à bon nombre d’instruments financiers.
Pendant de nombreuses années, cette situation a contraint les banques islamiques britanniques à conserver des réserves considérables non rémunérées, ainsi qu’à limiter leurs offres de dépôts à court terme. Ironiquement, cette situation leur a permis de surmonter aisément la crise financière mondiale de 2008, puisque dans l’ensemble, les banques islamiques britanniques sont restées liquides, sur un marché où les liquidités étaient par ailleurs très rares.
En revanche, les banques islamiques britanniques ont eu plus de difficultés à s’adapter aux nouvelles règles prudentielles de Bâle III, qui confèrent une place centrale aux instruments qu’elles ne peuvent pas détenir, tels que les obligations d’État et les réserves rémunérées de banque centrale. C’est dans ce contexte spécifique que ce nouvel instrument doit, d’après la Banque d’Angleterre, contribuer à mettre le secteur de la finance islamique britannique sur un pied d’égalité avec le reste du marché, en conférant aux banques islamiques britanniques une plus grande flexibilité.
Cette annonce a eu pour effet de renforcer le leadership affirmé du Royaume-Uni en tant que premier centre financier international de la finance islamique en dehors du monde musulman. Rappelons que ce pays a accueilli des banques et assurances islamiques dès 1983, et fut, en 2014, le premier État occidental à émettre 200 millions de Livres Sterling de dette islamique souveraine. Le développement de la finance islamique au Royaume-Uni atteste que sa population musulmane domestique est bien établie, et que ce pays, confronté aux conséquences économiques du brexit, sait entretenir des relations solides avec le monde musulman.
Ainsi, dès 2015, aux côtés des banques centrales de Bahreïn, de Malaisie, et des Émirats arabes unis, la Banque d’Angleterre a commencé à sérieusement se pencher sur la question de la création d’une facilité de dépôt conforme aux principes islamiques. En 2016 et 2017, la Banque d’Angleterre a entamé une phase de consultation auprès des acteurs du secteur pour finalement opter pour une structure d’agence, dite de « wakalah », où les dépôts sont adossés à un fonds d’actifs, dont le rendement net des frais de couverture et d’exploitation sera restitué aux déposants en lieu et place de la distribution d’intérêts.
Cet instrument doit permettre aux banques britanniques de rémunérer leurs liquidités, sans avoir recours à l’intérêt bancaire, mais plutôt, via un rendement adossé à une activité économique réelle. Jusqu’à présent, la Banque d’Angleterre a travaillé sur les aspects opérationnels et technologiques d’une telle innovation. D’ici le lancement effectif de cet instrument de gestion de la liquidité de haute qualité non productif d’intérêt, la Banque d’Angleterre finalisera la documentation juridique, effectuera les tests opérationnels, et commencera le processus d’intégration des banques intéressées.
Andrew Hauser a également rappelé que les principes fondamentaux de la finance islamique étaient bien adaptés pour répondre à certains des plus grands défis auxquels l’Angleterre sera confrontée pour reconstruire son économie une fois sortie de la crise pandémique. Rappelons que la finance islamique est en phase d’expansion rapide à l’échelle mondiale, avec des actifs de 2400 milliards de dollars en 2019, soit 11% de plus que l’année précédente, et un tiers de plus qu’en 2015.