Les promotions d’Ooredoo ont plombé le marché de la téléphonie mobile en Algérie. L’opérateur qatari a lancé une offre particulièrement agressive, qui a fini par toucher non seulement le marché de la 3G, mais aussi celui des smartphones. L’onde de choc a été ressentie au marché de Belfort, à El-Harrach, considéré comme le plus grand marché de la téléphonie mobile du pays.
Les offres promotionnelles d’Ooredoo sont imbattables. Une carte SIM, 4.000 dinars de communication sur deux mois, et deux mois d’internet, à hauteur d’un giga, sont offerts pour accompagner un smartphone de bonne qualité, un Samsung Pocket, pour un prix de 6.000 dinars. L’offre est si attrayante que des files d’attente se forment dès cinq heures du matin devant les magasins Ooredoo. L’appareil proposé est, à lui seul, vendu à 9.000 dinars l’unité dans les magasins traditionnels. Une autre promotion de la même compagnie propose un autre modèle de smartphone, un Samsung Galaxy Young Duos, à 11.200 dinars, alors que l’appareil, à lui seul, est proposé à plus de 16.000 dinars chez les revendeurs traditionnels. Un commerçant de Belfort affirme, catégorique : « il est impossible de s’aligner sur ce niveau de prix ». Il déplore une chute du chiffre d’affaires. « Tout le monde va chez Ooredoo », dit-il. « Avec sa puissance, Ooredoo peut en effet se mettre à un niveau impossible à atteindre pour les commerçants traditionnels ».
Nouveau modèle économique
Mais c’est le modèle économique de Ooredoo qui intrigue. Un opérateur ayant pignon sur rue a déclaré à Maghreb Emergent que des personnes sont passées dans les magasins acheter tous les appareils du modèle proposé en promotion par Ooredoo. Prix d’acquisition : 9.000 dinars l’unité. Tout le stock, 100 appareils, disponible chez cet opérateur, a été raflé. Un commerçant de la place Audin, au centre d’Alger, se plaint lui aussi. Son chiffre d’affaires a chuté de moitié. Même rengaine chez un commerçant de Chlef. « En gros, les ventes ont baissé de 50%», dit celui-ci. Même si les commerçants ont tendance à exagérer leurs difficultés, l’effet est réel.
Un spécialiste des TIC note que Ooredoo s’est attaqué à deux segments les plus rentables. Cet ingénieur commercial divise le marché des Smartphones en cinq paliers, l’entrée de gamme (moins de 5.000 dinars), le bon marché (entre 5.000 et 10.000 dinars), la moyenne gamme (entre 10.000 et 20.000 dinars), les produits de qualité (de 20.000 à 35.000) et le haut de gamme (au-dessus de 35.000 dinars). Ooredoo a littéralement squatté les paliers 2 et 3, dit-il. Cela représente un créneau très attractif. «Si on parle de la 3G, cela représente l’essentiel du marché », dit-il.
Sans engagement
Ooredoo a aussi innové en lançant ces nouvelles promotions sans engagement de la part des clients. Traditionnellement, ceux-ci sont freinés par l’obligation de contracter un abonnement d’au moins une année. La disparition de cette clause a provoqué le rush, contraignant Ooredoo à s’adresser aux commerçants pour s’approvisionner en Smartphones après épuisement de ses stocks, selon un commerçant. Surprise par le succès de ses promotions, Ooredoo s’est trouvée contrainte de vendre les appareils à perte, pour pouvoir honorer son offre commerciale.
Visiblement, Ooredoo investit sur l’avenir. La compagnie veut prendre une longueur d’avance sur ce marché, mais vise, par son action, à pousser de nouveaux clients à acquérir de nouveaux modèles de Smartphones pour passer à la 3G. Jusqu’où ira cette concurrence, quand Djezzy sera de nouveau en course, après l’aplanissement des contentieux avec l’Etat algérien ? Le consommateur va certainement en tirer profit. Pas les commerçants, qui se plaignent. Ceux-ci envisagent de s’organiser pour mieux se défendre. Maghreb Emergent a appris que des revendeurs se sont rencontrés pour discuter de l’évolution du marché, et étudier les possibilités qui s’offrent à eux de mieux défendre leur place sur le marché. Pour l’heure, ils en sont encore aux premiers contacts.
Le coup de pub de Mohamed Bouzid
Mohamed Bouzid a lancé ses propres promotions. Implanté dans le quartier commerçant de Belfort, à Alger, ce commerçant, retranché dans un magasin à l’allure modeste, a décidé d’innover pour écouler des produits difficiles à écouler. Cette semaine, il s’agit d’appareils Huawei G6310, munis d’une carte SIM qu’il achète lui-même auprès d’Ooredoo. Il propose le pack à 6.000 dinars. Pour s’aligner sur l’offre d’Ooredoo ? Mohamed Bouzid sourit. Car si la compagnie qatarie a une logique de communication et des parts de marché à atteindre, lui veut seulement écouler des Smartphones difficiles à vendre. Le coût du pack est de 8.500 dinars, dit-il. « Je le cède à 6.000 dinars, car c’est potentiellement un stock mort ». Vendre à perte? « Mon but est d’épuiser un stock sur un créneau saturé », dit-il, faisant allusion aux promotions d’Ooredoo.
Sa logique est tout aussi commerciale. « Nous sommes dans un secteur où les choses vont vite. L’argent doit circuler rapidement. Si un produit dépasse un certain délai, il devient un fardeau », dit-il. Ce qui l’a amené à afficher un peu partout sur le principal boulevard de Belfort son offre promotionnelle. Simple initiative d’un commerçant oisif ? Non. L’impact est réel. Voir qu’un opérateur, dynamique mais d’une envergure plutôt modeste, fait des offres promotionnelles lui donne immédiatement une certaine stature. Et cela donne du crédit à son offre. Le résultat est visible. Des revendeurs en provenance d’El-Oued, Chlef et Ghardaïa, s’informent auprès de lui. Ils connaissent les produits, et certains se laissent séduire.