Une nouvelle vacance du pouvoir présidentiel a débuté au pire de la crise politique et au seuil d’une nouvelle vague de la pandémie Covid en Algérie.
Le président Abdelmadjid Tebboune ne pourra pas réoccuper sa fonction présidentielle pendant une longue période, dans le cas, le moins certain, ou il pourrait recouvrer des capacités de travail normales pour un chef d’Etat. C’est face à ce scenario chaotique que s’est retrouvé mercredi dernier l’Etat Major de l’ANP lorsqu’une dégradation de l’état de santé du président a entrainé une décision, choquante dans l’opinion populaire, de l’envoyer en urgence vers un hôpital allemand sur recommandation de son staff médical à l’hôpital militaire de Ain Naadja.
Les fuites provenant du corps médical et de l’administration du palais d’El Mouradia contredisent le contenu lénifiant des communiqués officiels. Abdelmadjid Tebboune, 74 ans, est bien contaminé par le covid 19. Il a perdu une partie importante de sa capacité pulmonaire, et sa ventilation en salle de réanimation est devenue critique, rendant le pronostic vital engagé.
Le chef de l’Etat Algérien « est devenu, tout l’indique, un patient lourd du Covid dont l’itinéraire de guérison risque d’être très long et toujours incertain en termes de séquelles compte tenu du tableau clinique initial » explique un médecin de centre Covid dans un CHU d’Alger.
En un mot, l’Algérie est entrain d’entrer dans une nouvelle crise de la fonction présidentielle, semblable à celle ouverte par l’AVC de Abdelaziz Bouteflika le 27 avril 2013.
Référendum moribond
La première urgence pour la haute hiérarchie de l’ANP pourvoyeuse des présidents de la république algérienne depuis le coup d’Etat de juin 1965 est procédurière. Faut il maintenir le référendum constitutionnel de ce 1er novembre ? Comment entrer sous l’ère de la nouvelle constitution – le vote est une formalité – sans sa promulgation par le président de la république ? Sous le régime de quelle constitution faudra t’il déclarer une vacance temporaire du pouvoir présidentiel lorsqu’il adviendra qu’elle sera inoccupée durablement ? Elle est ensuite politique.
L’après Tebboune a déjà été considéré sur la crête des Tagarins. Indépendamment de l’issue du combat que mène le président algérien pour la survie dans un hôpital allemand, son sort politique paraît bien scellé. « C’est symboliquement à un retour à la case de l’été 2019 que nous risquons vite d’arriver avec un régime qui perd à nouveau le levier du palais d’El Mouradia pour diriger le pays » estime un dirigeant dans un des partis du PAD.
La gouvernance Tebboune-Djerrad s’est largement montrée « inopérante » depuis dix mois. Le sentiment que le pays ne peut pas se permettre un surcroit de paralysie avec une disparation de l’impulsion présidentielle dans les prochains mois, a gagné tout le monde sur fond de 2e vague Covid extrêmement inquiétante.
Le projet de Ahmed Gaïd Salah de mettre Abdelmadjid Tebboune à El Mouradia n’avait déjà pas tout à fait réussi à aligner tous les décideurs au sein de l’ANP lorsqu’en novembre 2019, le patron de la DSI, le général Wassini Bouazza, a soutenu en sous-main la candidature de l’ancien ministre de la culture Azzedine Mihoubi. Le nouveau patron de l’ANP, le chef d’Etat Major Saïd Chengriha a tenté de faire corps autour de cet héritage présidentiel, peu emballant au sein même de l’armée. Il a dérogé à la règle tacite qu’il voulait se donner en ne « se mêlant pas » de politique et a couru à la rescousse d’un processus référendaire moribond en appelant les Algériens a voter massivement pour le projet constitutionnel proposé.
La nouvelle vacance du pouvoir présidentiel qui se dessine n’augure rien de bon pour lui et pour ceux qui souhaitaient, derrière une façade civile sans autonomie, faire oublier le rôle prééminent de l’ANP dans la décision politique en Algérie.
Gérontocratie et Hirak
La nouvelle crise de la fonction présidentielle qui vient de débuter est une alerte forte pour tous les Algériens et pas seulement pour les détenteurs du pouvoir réel. La situation économique et sociale se dégrade à grande allure. A la crise du Covid et ses conséquences sur l’activité s’est ajoutée l’incapacité du gouvernement Djerad a tenir ses promesses de la mi-aout 2020, de plan d’urgence et plan de relance en faveur des acteurs de l’économie.
Le retour probable à un nouveau confinement sanitaire dans les prochains jours face à l’explosion en cours de la circulation du virus va finir de déliter le lien social et obscurcir l’avenir politique. La solution portée par le mouvement populaire du 22 février 2019 est toujours sur la table. Elle suppose l’acceptation pacifique et pactée de la fin du système autoritaire gérontocratique qui a essayé de se prolonger le 12 décembre dernier, en proposant Abdelmadjid Tebboune pour répondre aux aspirations de changement exprimées par le Hirak populaire.
La séquence historique algérienne est, dans son contexte, semblable par la succession gérontocratique, à celle de la fin du règne Brejnévien et à la crise de l’empire soviétique. Entre novembre 1982 et mars 1985, le politburo du parti communiste soviétique a généré deux leaders éphémères, Andropov et Brejnev, parmi ses sexagénaires pour se continuer à l’identique, avant de recourir au réformateur Mikhail Gorbatchev, 54 ans.
Gorbatchev n’est pas très populaire en Russie, mais le monde lui reconnaît d’avoir assuré une transition pacifique vers un nouveau paradigme politique pour son pays engoncé dans la banqueroute de l’empire. Tant d’autres empires ont été démantelés dans la guerre. En Algérie, les enjeux sont plus simples à cerner. La gérontocratie militaro-clientéliste gagnerait à bien saisir la nouvelle opportunité qui s’ouvre à elle après la fausse route de 2019.
Le Hirak dessine déjà depuis 20 mois la feuille de route du changement pacifique. La banqueroute elle, n’est plus très loin.