Yémen : une intervention saooudienne incontestée ou... presque (contribution) - Maghreb Emergent

Yémen : une intervention saooudienne incontestée ou… presque (contribution)

Facebook
Twitter

La contestation de l’interventionnisme saoudien au Yémen ne s’exprime pas toujours très franchement chez les Yéménites. La raison en est souvent la peur d’être assimilé aux Houthis ou la conviction qu’il n’y a pas d’autre solution que l’aide du voisin du Nord pour contenir leur montée en puissance.

 

 A la surprise générale, dans la nuit du 25 et du 26 mars 2015, l’opération militaire appelée ”tempête décisive” menée contre le Yémen rallie dix pays, essentiellement du monde arabe, et est dirigée par l’Arabie saoudite. Un accord semble avoir été trouvé entre les différentes parties puisque le 21 avril 2015 l’Arabie saoudite annonce la fin de l’attaque soit de la première étape de l’intervention étrangère et ouvre une seconde phase, ”Retour de l’espoir”.

L’Arabie saoudite justifie son attaque par le fait qu’elle répond à la requête du président élu, Abdu Rab Mansur Hadi, et s’appuie sur le soutien de la population yéménite qui, elle-même, supporterait une telle action. L’ambition de l’opération ”Tempête décisive” est de libérer le Yémen de l’expansion des Houthis ! Est-ce que ce sont là des arguments suffisants et viables qui empêcheraient toute discussion sur le bien-fondé de cette opération militaire ?

Il est difficile de décrire les sentiments des Yéménites face à l’attaque menée pendant une période de presque un mois. Les positions sont partagées mais l’opposition, refusant d’être assimilée aux Houthis qui dénoncent cette agression, semble poussive et incapable de créer un discours critique indépendant de ces derniers.

Est-ce que cette opposition timide des Yéménites eux-mêmes à l’opération militaire expliquerait l’absence ou le peu de débats sur le bien-fondé de cette dernière? En effet, dans d’autres contextes, une telle action, conduite sans sommation préalable ou négociation, aurait au moins engendré des prises de positions divergentes dans le pays ciblé ou de la part de la communauté internationale, ce qui ne fut pas le cas, ou alors de manière très marginale, au Yémen. Quelles sont les positions des uns et des autres ?

 

Les Houthis et Ali Abdallah Saleh: opposition de principe contre l’opération tempête décisive

 

Rien de plus normal que les Houthis s’opposent à l’attaque puisqu’ils en sont la cible. Les fidèles houthis, conduits par Abdel Malek Al Houthi, dénoncent une agression dirigée par une alliance diabolique et ancienne entre l’Arabie Saoudite, les Etats-Unis et Israël. Pour certains, il s’agit d’une guerre de religions, chrétiens et juifs s’alliant contre les musulmans.

Pour comprendre cette position des Houthis, il est important de rappeler la posture d’Abdel Malek Al Houthi. Dans ses discours datant notamment de l’entrée des Houthis dans la capitale, Sana’a, en septembre 2014, le leader de ce mouvement se place comme le porte-parole du peuple yéménite qu’il entend libérer de la terreur et de l’instabilité engendrée par les terroristes d’Al Qaeda, le délivrer de l’oppression et de la corruption qu’ils subit, et lutter contre la pauvreté. Ainsi, les Houthis s’arrogent cette mission de libérateurs. Or, l’Arabie saoudite adopte un discours similaire, désirant libérer le pays de l’emprise d’envahisseurs télécommandés par l’Iran.

L’opération ”Tempête décisive” n’a eu, sans aucun doute, d’autre effet que d’exacerber ‘une certaine ”identité houthie” entraînant chez certains membres de ce mouvement des réactions agressives et accentuant une certaine intolérance face à tout discours critique envers les positions d’Abdel Malek Al Houthi. Une des illustrations en est les actes de violences dont certains membres de la communauté soudanaise ont été victimes. Etonnante réaction de certains Houthis alors que les liens entre le Yémen et le Soudan sont anciens et forts. Le respect des Yéménites pour les Soudanais prend notamment ses racines dans les années soixante-dix, lorsque ces derniers furent parmi les tous premiers enseignants (avec les Egyptiens) dans les toutes nouvellement écoles publiques construites au Yémen. Les mariages soudan-yéménites se pratiquent depuis des années et les échanges commerciaux sont historiquement importants.

Les ressortissants étrangers des pays arabes participant à la coalition (comme le Soudan ou la Jordanie) vivant au Yémen sont, dans les premiers jours de l’attaque et avant leur départ du Yémen, victimes de certains actes de violence de la part des Houthis. Les Soudanais sont parmi les plus visés, leur nombre étant également plus conséquent que celui des autres communautés arabes.

Concernant les partisans de l’ancien président, Ali Abdallah Saleh, leur posture est semblable à celle des Houthis. Ils condamnent l’agression. Cependant, à la différence d’Abdel Malek Al Houthi, Ali Abdallah Saleh propose très rapidement dès le début de l’opération militaire de négocier. 

Positions divergentes entre les partis politiques ?

 

Parmi les partis politiques, seul Al-Islah (qui rassemble les Frères musulmans, les chefs de tribus et les salafistes-islamistes) déclare soutenir officiellement la Coalition et ainsi se rallier au président élu, Abdu Rab Mansur Hadi. Une telle position entraîne une réaction radicale de la part des Houthis. Le lendemain de la déclaration, le 3 avril 2015, ils dissolvent la structure politique, puis le jour qui suit, ils enlèvent plus de 130 leaders et hauts dignitaires de ce parti.

Sans condamner officiellement l’opération militaire menée par l’Arabie saoudite et ainsi affirmer leur alliance avec le président élu, le Parti socialiste yéménite et le parti nassérien réclament l’arrêt immédiat du conflit armé. Cette absence de position claire contribue à renforcer cette idée que les partis ne s’opposent pas ou de manière timide à l’attaque.

Une telle ambiguïté est également alimentée par la posture qu’adoptent certaines personnalités politiques. Il en est ainsi de Yassin Said Naoman, ancien secrétaire général du Parti socialiste yéménite, politicien respecté et influent dans le pays. Dans un écrit datant du 17 avril 2015, il ne condamne pas l’opération militaire menée par l’Arabie saoudite mais accuse l’ancien président Ali Abdallah Saleh d’être l’instigateur des différents conflits armés dont sont le théâtre de nombreuses régions du pays (Aden, Dhale’, Taiz, Sana’a, entre autres) – faisant fi de la participation des Houthis à ce conflit. Par ailleurs, il soutient la résolution des Nations unies affirmant qu’elle permettra de ”mettre fin aux tueries”.

Du côté des journalistes, depuis les premiers jours de l’opération militaire, souvent les positions sont clairement exprimées : ils condamnent l’agression menée par l’Arabie saoudite. Pourtant, leurs écrits restent plutôt discrets et peu incisifs comme s’il était difficile de critiquer cette attaque sans être identifié comme supporteur du mouvement houthi. Ils semblent comme paralysés par les événements. Ainsi, aucune campagne médiatique n’est menée contre l’attaque.

 

Et… le reste de la population

 

 

La position des Yéménites vivants dans le pays diverge et change au cours du déroulement de l’attaque. Ainsi, au début de l’opération militaire, certaines manifestations, comme dans la ville de Taiz, s’expriment en sa faveur. D’autres Yéménites semblent déchirés entre la volonté de mettre fin à l’ascension du mouvement houthi et la désapprobation de l’intrusion du voisin saoudien avec lequel les relations sont tendues. En effet, les Saoudiens considèrent les Yéménites comme un peuple arriéré, indomptable et volatile.

Depuis ces cinquante dernières années l’Arabie saoudite tente de dominer son voisin encombrant. Ainsi, l’opération militaire est-elle vue par nombre de Yéménites comme une nouvelle tentative de domination du voisin saoudien mais ils ne semblent pas non plus entrevoir d’autres issues pour combattre le mouvement houthi. Dans les réseaux sociaux, les internautes sont partagés mais les écrits dénonçant l’attaque s’expriment et certaines campagnes contre celle-ci sont suivies.

L’accumulation des victimes, notamment civiles, la dégradation des conditions de vie (absence d’eau, d’électricité, de carburant etc.), la lassitude face à l’intensité quotidienne des bombardements et la poursuite d’une attaque dont l’aboutissement reste obscure sont autant de facteurs qui font qu’une partie de l’opinion publique commence à questionner le bien-fondé de l’opération militaire de la Coalition menée par l’Arabie saoudite.

La position des Yéménites vivant à l’étranger, souvent en Europe, aux Etats-Unis (Canada), est claire et ils s’opposent catégoriquement à l’attaque et organisent des manifestations. Cette catégorie de Yéménites ne semble pas craindre leur assimilation à la position des Houthis.

 

Silence de la communauté internationale

 

Etonnante est la quasi-unanimité sur l’agression du Yémen au sein de la communauté internationale. En effet, seul l’Iran (et, dans une certaine mesure la Russie, son allié) dénonce l’attaque menée par l’Arabie saoudite. Dans les pays du monde arabe, il n’y a guère que l’Algérie qui refuse de se rallier à la Coalition menant l’opération militaire et exprime ses fortes inquiétudes concernant cette action redoutant une intensification de la violence.

Le 26 mars 2015, la Communauté européenne déclare que l’opération militaire ne peut être une réponse et s’inquiète des conséquences régionales d’une telle action, sans la condamner catégoriquement et sans se poser comme médiatrice ou proposer une solution concrète pour mettre fin au conflit. Certains pays de la Communauté européenne, adoptent une position différente, comme la France ou l’Allemagne, qui expriment leur soutien face à l’agression.

Le 14 avril 2015 le Conseil de sécurité des Nations unies adopte la résolution (2216) sans trouver d’opposition même de la part de la Russie qui s’abstient au moment du vote. Le texte illustre le ralliement de tous à l’intrusion saoudienne. Ainsi, cette résolution désigne comme agresseur les Houthis (et non Ali Abdallah Saleh) et sanctionne le chef de ce mouvement ainsi que Ahmed Ali, le fils de l’ancien président Ali Abdallah Saleh. Changement de cap ?

Le 16 avril 2015, au lendemain de la démission de Gamal Ben Umar (l’envoyé spécial des Nations unies au Yémen), Ban Ki Moon, réalisant (enfin !) que la situation humanitaire est catastrophique réclame un cessez-le-feu de ”toutes les parties au Yémen”. Une manière de condamner l’agression saoudienne adoubée deux jours plus tôt ?

 

Fin de l’attaque ?

 

A la surprise générale, l’Arabie saoudite annonce le 21 avril 2015 la fin de l’opération ”Tempête décisive” qui aurait atteint son objectif. Pourtant, elle assure que « la coalition continuer[a] d’empêcher les milices houthis de se déplacer ou d’entreprendre des opérations à l’intérieur du Yémen” et que le blocus maritime du pays est maintenu.

Une telle décision surprend tout le monde et questionne profondément l’annonce de la fin de l’agression. D’ailleurs, les conflits dans les différentes régions du pays se poursuivent, ainsi que les bombardements conduits par l’Arabie saoudite. Les Yéménites semblent dubitatifs. Ils attendent…

A présent, l’Arabie saoudite déclare l’ouverture d’une nouvelle phase, celle appelée ”Retour de l’espoir”. Tout naturellement, la question se pose de savoir à qui doit cette seconde étape procurer de l’espoir : à l’Arabie saoudite pensant que les différentes armes lourdes engrangées au Yémen ne peuvent plus être dirigées contre elle ? Aux Houthis et partisans d’Ali Abdallah Saleh qui, au lendemain de la fin des bombardements, occupent du terrain dans différentes régions du pays (Taiz, Aden) ? A une certaine frange de la population yéménite qui devrait, enfin, bénéficier de l’aide humanitaire ? L’espoir d’un retour à une certaine décence humaine ?

 

Maggy Grabundzija vit à Sanaa. Elle est anthropologue. Elle a notamment publié Yémen, morceaux choisis d’une révolution (mars 2011 – février 2012), Paris : L’Harmattan, février 2015.

Facebook
Twitter