Il n’en suffit pas de se focaliser sur une loi de finances qui n’est qu’un document comptable public annuel, devant normalement s’insérer forcément dans le cadre d’une vision stratégique. N’ayant pas de cadre stratégique, les observateurs tant locaux qu’internationaux sont attentifs donc à la loi de finances en Algérie. La première lecture de la loi finances 2015 fait ressortir sept mesures qui auront une répercussion sur la situation économique et sociale.
1.Premièrement , les dépenses de fonctionnement augmenteraient de 257,8 milliards de dinars, dont des dépenses de rémunérations qui se situeront ainsi à 2 104,4 milliards de dinars contre 1 976,8 milliards de dinars dans la LF 2014, passant de 4 714,5 milliards de dinars dans la loi de Finances 2014 à 4 972,3 milliards de dinars dans l’APLF 2015, soit une hausse de 5,5%. Dans ce cadre rentre les impacts de l’abrogation de l’article 87-bis de la loi n°90-11 du 21 avril 1990, relative aux relations de travail qui auront une lourde répercussion sur le trésor public, bon nombre de PMI-PME ne pouvant supporter les effets à moins d’exonérations fiscales, si l’on veut éviter l’extension de la sphère informelle. Attention à la dérive par la création massive des emplois/ rente notamment dans l’administration.
2.-Deuxièmement, les dépenses d’équipement, pour 2015 sont prévues à 4 079,7 milliards de dinars contre 2 744,3 pour la LF 2014 soit une hausse de 1 335,4 milliards de DA (+48,7%). C’est une bonne chose sous réserve de ventiler cette rubrique pour voir si les segments créateurs de valeur ajoutée durable en sont les bénéficiaires. Les travaux d’infrastructure qui ont mobilisé les 70% de la dépense publique entre 2000/2013, ne sont qu’un moyen, c’est l’entreprise qui crée la richesse permanente.
3.-Troisièmement, les importations de biens prévues sont estimées à 65,4 milliards de dollars non compris les services qui ont approché les 12 milliards de dollars entre 2012/2013, montant auquel il faudra ajouter les transferts légaux de capitaux pouvant varier entre 5 à 7 milliards de dollars. Se pose la question stratégique en cas de baisse des recettes d’hydrocarbures, quelle sera la valeur des exportations en devises sachant que Sonatrach qui a engrangé 700 milliards de dollars en devises entre 2000/2013 et a permis 500 milliards d’importations en devises durant la même période : or, Sonatrach a exporté environ 63 milliards de dollars en 2013, 10 milliards de dollars de moins qu’en 2011 et dont la part du marché de gaz en Europe est passé de 13/14% en 2010 à 9% en 2013 avec une chute de 50% du marché américain du fait de la révolution du gaz de schiste.
4.-Quatrièmement, comme conséquence , globalement, les dépenses prévues sont de 8858,1 milliards de dinars et les recettes de 4 684,6 milliards de dinars, soit un déficit budgétaire de 4173,5 milliards de dinars et 52,82 milliards de dollars (au cours de 79 dinars pour un dollar), représentant 22,0% du PIB projeté à un taux de croissance de 3,4%. Avec une dépense publique de 630 milliards de dollars entre 2000/2013(équipement et fonctionnement), le taux de croissance aurait dû dépasser en moyenne annuelle les 8/9%. L’Algérie peut-elle continuer à fonctionner sur la base d’un cours de 110/120 dollars au risque d’épuiser totalement le fonds de régulation des recettes et les réserves de change d’environ 194 milliards de dollars dont 83/86% sont placées en bons de trésor américains, en obligation européennes et une fraction dans des banques cotées dites AAA?
5.-Cinquièmement, paradoxalement la loi des finances 2015 prévoit, une fiscalité pétrolière de 4 357,1 milliards de dinars, générant ainsi une plus-value à verser dans le FRR de l’ordre de 2 634,2 milliards de dinars à la fin de 2015. Selon le Ministère des Finances (DGT) le fonds de régulation des recettes a évolué ainsi de 2011 à 2013. 2011 ; 4842 milliards de dinars – 2012 : 5381 milliards de dinars-2013 : 5633 milliards de dinars. Lors de la loi prévisionnelle de finances 2014 le FRR devait atteindre 7226,4 milliards de dinars, soit 39,7% du PIB permettant d’alimenter trois ans d’importation. Or, selon le rapport récent de la banque d’Algérie, il ressort qu’en dépit de réserves de changes en augmentation de près d’un milliard de dollars (194,961 milliards de dollars à fin mars contre 194,012 milliards à fin décembre 2013), le niveau du Fonds de régulation des recettes FRR a chuté de 5 238,80 milliards de dinars à fin décembre 2013 à 4 773,51 milliards de dinars à fin mars 2014. Une baisse derrière la contraction de 9,8% de la position créditrice nette du Trésor auprès de la Banque d’Algérie, passant de 5 800,8 milliards de dinars en mars 2013 à 5090,99 milliards de dinars à fin mars 2014
6.-Sixièmement, concernant l’encouragement de l’investissement et la promotion de la production nationale, le projet de loi de finances 2015, prévoit une exonération en matière d’IBS ou d’IRG et de la TAP pour une durée de 5 ans, une bonification à 3% des taux d’intérêts applicables aux prêts bancaires, les jeunes ayant qui bénéficié de crédit Ansej ne payant pas d’impôts ni taxes pendant les cinq prochaines années. Or, outre qu’elle prévoit de relever le montant du minimum d’imposition de 5 000 DA à 10 000 DA pour les contribuables relevant de l’IRG, la loi de finances 2015 prévoit l’amendement de l’article 150 du Code des impôts directs et taxes assimilées, en baissant l’impôt sur le bénéfice des sociétés (IBS) pour les entreprises d’importation et de services qui passerait de 25% actuellement à 23% et d’augmenter celui des entreprises de production de 19% à 23%. Cette mesure a fait réagir le patronat privé algérien, qui y voit un encouragement à l’importation, au détriment de la production locale. L’argument du gouvernement serait de faciliter les actions de recouvrement et de contrôle fiscal et mieux lutter contre la fraude fiscale, dans le cas des sociétés qui exercent plusieurs activités relevant de taux différents.
7.-Septièmement, la loi des finances 2015 prévoit un assainissement des Comptes d’affectation spéciale (CAS) portant le regroupement de 11 comptes en 5, la budgétisation de 5 comptes et la clôture définitive d’un compte, un délai d’une année étant prévu pour la clôture définitive des comptes concernés. Se pose d’ailleurs les différents rapports de la Cour des Comptes sur le règlement budgétaire dont maints rapports ont mis en relief les dysfonctionnements de maints ministères et secteurs. Comme l’on doit devant également pour les subventions généralisées, non ciblées, il y a lieu de prévoir leur budgétisation par le parlement avec une affectation précise et datée par une chambre de compensation aux secteurs inducteurs et les catégories les plus vulnérables afin d’éviter le gaspillage et les fuites hors des frontières. Par ailleurs, le gouvernement compte autoriser les banques à accorder, en sus des crédits immobiliers, des crédits à la consommation destinés à l’acquisition de biens par les ménages. Le gouverneur de la Banque d’Algérie a annoncé, le17 août 2014 que le retour au crédit à la consommation, qui avait été suspendu en 2009, sera accompagné par l’entrée en service de la centrale des risques prévue dès le deuxième semestre de 2015. Existe-t-il un lien dialectique entre la logique rentière et la sphère informelle à dominance marchande- contrôlant 40% de la masse monétaire en circulation et 65% des segments des produits de première nécessité ? les exportations d’hydrocarbures représentant 98% permettant d’assurer l’importation de 70% des besoins des ménages et des entreprises qu’elles soient publiques ou privées dont le taux d’intégration ne dépasse pas 15%,( le secteur industriel représentant moins de 5% du produit intérieur brut), cette mesure ne risque t- elle pas de gonfler davantage les importations de biens finis ?
En résumé, l’objectif stratégique pour l’Algérie est d’engager des réformes micro-économiques et institutionnelles indispensables, devant réhabiliter l’entreprise créatrice de richesses et son fondement le savoir pour s’adapter tant à la mondialisation de l’économie dont l’espace euro- méditerranéen est son espace naturel qu’aux mutations internes impliquent l’instauration de l’économie de marché concurrentielle à finalité sociale, qui est inséparable de l’Etat de droit, de la démocratie sociale et politique. Car, le cadre macro-économique relativement stabilisé grâce à la rente des hydrocarbures est éphémère, sans de profondes réformes structurelles. L’entrave principale au développement et d’une bonne gouvernance en Algérie, provient de l’entropie. Le défi majeur, est de réfléchir aux voies et moyens nécessaires pour contrôler et réduire cette entropie à un niveau acceptable. Comme montré dans deux ouvrages collectifs réalisés sous ma direction et celle Camille SARI (1), l’Algérie sans chauvinisme a toutes les potentialités pour devenir un pays pivot au niveau de la région.
(*) Professeur des Universités Expert international en management stratégique
(1)- Deux ouvrages récents distincts « Le Maghreb face aux enjeux géostratégiques » réalisés sous la direction du professeur Abderrahmane MEBTOUL et du docteur Camille SARI de la Sorbonne regroupant 36 experts internationaux maghrébins et européens- politologues, juristes-militaires-sociologues, historiens-économistes- (Livre I – instituions et politiques 480 pages)- Livre II volet économique dans toutes ses dimensions-520 pages- parue en Algérie Mars 2014 Edition Maarifa et en France juillet 2014 Edition Harmattan.